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Y a-t-il des témoignages ou mémoires de soldats français prisonniers en Allemagne pendant la guerre de 1914-1918 ?

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    Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 20/02/2024.

    Photo noir et blanc de camp de prisonniers français en Allemagne
    Christine DANEAU, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

    Si la vie quotidienne des poilus dans les tranchées a été bien documentée et reconstituée par les historiens de cette période, qu’en est-il de la vie des soldats qui ont été faits prisonniers et transférés en captivité en Allemagne ? Y a-t-il des témoignages ou des mémoires de ces soldats prisonniers pendant la Première guerre mondiale ?

    Une collecte de témoignages par des organismes de recherche en histoire

    Le site Internet réalisé par le « Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre de 1914-1918 » propose un dictionnaire en ligne des témoins de la Grande Guerre. On y trouve par exemple la reproduction intégrale de la correspondance de Paul Loubet prisonnier en Allemagne avec sa femme Marie. Le témoignage est présenté ainsi :

    « En 1914, Marie Loubet (1885 – 1974) et son mari Paul (1885 – 1975) vivent à Agde, de l’exploitation d’un jardin agricole ; ils ont une fille, née en 1909. Paul, ajourné en août 1914, ne rejoint le 24e RIC qu’en février 1915 à Perpignan. Après entraînement, il rejoint le front avec le 44e RIC dans le secteur de Vauquois, mais rapidement fait prisonnier en juillet 1915, il passera le reste de la guerre en captivité. Après le conflit, Paul et Marie Loubet se consacreront à l’exploitation de leur jardin et de leur vigne. »

    Le blog de recherche intitulé Prisonniers durant la Grande Guerre (1914-1918), sur Hypotheses.org, présente également des articles fondés sur des témoignages, comme La lutte constante du prisonnier de la Grande Guerre contre la faim, par Davye Cesbron, 05/03/2022. Les titres de ces témoignages sont indiqués en notes en bas de l’article. Par exemple :

    Moi j’te dis que j’aimerais mieux y être au front, plutôt que d’rester ici à servir de domestiques aux Boches. […] Et pis, faut pas croire qu’on est toujours su’ l’ front. On pourrait pas y tenir. On va de temps en temps se refaire à l’arrière. Y a de bons moments. En tout cas, ils ont de quoi becqueter là-bas [dans les tranchées]. C’est pas comme ici.

    Gilbert Arvengas, Entre les fils de fer. Carnet d’un prisonnier de guerre (1914-1917), Paris, Jouve et Compagnie, 1918, p. 11, article cité.

    Quelques publications de témoignages

    Sans vouloir être exhaustif, on citera par exemple :

    Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919 de Paul Cocho, Presses universitaires de Rennes, 2010.
    Présentation : Texte intégral d’un journal de guerre écrit par un simple soldat au début de la Grande Guerre devenu par la suite lieutenant et officier de liaison. Il couvre la période qui s’étend de fin octobre 1914 à janvier 1919 et propose un récit du conflit se fondant sur une observation des faits vécus. Une grande partie du journal décrit la captivité de P. Cocho, blessé au Chemin des Dames.

    A tire d’ailes : carnet de vol d’un aviateur et souvenirs d’un prisonnierde Renaud de La Frégeolière, Plon, 1916, consultable sur Gallica, bibliothèque numérique de la BnF. Une partie de l’ouvrage, p. 137 sq, s’intitule « Dans les camps d’Allemagne. Souvenir d’un prisonnier de guerre » et raconte son expérience d’enfermement au camp de Mersebourg, en Allemagne, en octobre 1914.
    Extrait :

    Ici s’élève la cité des morts : « Vous qui entrez, laissez toute espérance ! » Cette devise n’est point inscrite à la porte du camp refermée sur nous, depuis quelques jours à peine, mais elle émane des choses, tant on éprouve l’impression d’un gigantesque tombeau où errent des fantômes vivants. Nous sommes dans l’empire du fil de fer. Il vous enlace, vous enveloppe, étouffe la vie, empêche l’air de pénétrer, et ne laisse entrevoir le pays qu’à travers un filet.

    Op. cité, p. 137

    Odessa, Verdun, Magdebourg : de l’avant-guerre à la captivité, souvenirs de Jacques Bith, officier au 211e RI, 1902-1918, de Jacques Bith, édition établie et commentée par le chef de bataillon Cyrille Becker et Éric Labayle, éd. Anovi, 2007.

    Récits de guerre : 1914-1918 ; suivis de Récits de captivité par Romain Darchy ; présentation par le général (cr) Bernard Cochin ; préface par Jean-Pierre Verney, l’Artilleur-Bernard Giovanangeli éditeur, 2021.

    Il se confie sur le cafard qui le ronge : “Je ne suis qu’une pauvre âme errante qui pleure doucement parce qu’il y a trop longtemps qu’elle gémit. Je sens un mal implacable qui me ronge, et ce mal, c’est l’ennui. La douleur physique ce n’est rien à côté des cauchemars qui me tiennent toujours en éveil. Je souffre l’absence, l’abandon, je souffre, car je crains de désespérer un jour !”

    Page 538 de l’ouvrage cité, à partir de l’article de recension de l’ouvrage par Davye Cesbron, site Prisonniers de la Grande Guerre (1914-1918), 24/03/2022.

    Christine Delpous-Darnige, membre du Crid, et Virginie Gascon ont fait paraître en 2016, avec une préface de Françoise Thébaud, « Nous ne serions jamais séparés », correspondance de Marie et Paul Loubet, couple de jardiniers agathois, 1915 – 1918, éd. du Mont, 2016.
    Le livre présente la correspondance échangée pendant le conflit entre les époux Loubet. Ce lot de 318 lettres, sauvé in extremis de la destruction, est largement reproduit ici avec des explications très utiles; la retranscription s’est faite avec des corrections d’orthographe, mais en laissant la syntaxe d’origine. Quelques courriers d’autres proches sont aussi présents, ainsi qu’une large iconographie extérieure, surtout issue de la grande collecte à Agde (2014). »

    Des études de cas de témoignages

    Voir cet article « Être prisonnier de guerre français en Allemagne de 1914 à 1918 : une étude de cas, Joseph Miquel » de Marc Schrevel, Revue du Nord, 2014/1-2, n°404-405, p. 309 à 330.
    Résumé : « Malgré leur masse impressionnante, les prisonniers de la guerre 1914-1918 ont longtemps été les « oubliés de l’Histoire ». Joseph Miquel est l’un des 540000?Français captifs en Allemagne dont la première originalité est la durée de sa détention : quarante-huit mois de septembre 1914 à octobre 1918. Il est sorti de l’anonymat grâce à une centaine de lettres et de cartes-lettres envoyées à son épouse Louise, conservées par sa famille qui nous les ont confiées pour une étude exhaustive. Le courrier est l’unique source de contact avec les siens et il l’utilise le plus possible, malgré la censure allemande, pour aborder ses conditions de vie matérielle (alimentation, travail, météorologie) et psychologiques (sentiments envers ses proches, sujets d’incompréhension, voire de discorde dans le couple). Cette étude de cas est en partie représentative des souffrances de la captivité et de l’exil des 2,4 millions soldats détenus dans les camps et les kommandos de travail en Allemagne, mais elle est originale par les raisons de la volonté de ce prisonnier de « tenir », qui sont à la fois matérielles (réception de colis alimentaires) et sentimentales (amour sublimé de son épouse). Les commémorations du Centenaire de la Grande Guerre devraient intégrer ces « oubliés de l’Histoire » que de nombreux chercheurs français ont mis en lumière dans leurs travaux. »

    Pour aller plus loin

    Il est possible d’écouter des voix de poilus prisonniers en Allemagne sur le site de Radio France, dans l’épisode « 100 ans plus tard, des enregistrements de soldats de la guerre 14-18 !« , émission en podcast Le reportage de la Rédaction, avec Ludovic Piedtenu, 07/11/2018.
    Présentation : Des archives sonores inédites nous arrivent de Berlin. Quelques-uns des 2 000 enregistrements de poilus de 14-18, soldats français faits prisonniers de guerre en Allemagne. 100 ans plus tard, ces voix s’échappent enfin des archives de l’Université Humboldt de Berlin où s’est rendu Ludovic Piedtenu.

    Cet article du site de l’Armée française, qui a pour titre « Les prisonniers de guerre français 1914-1918 | Chemins de mémoire », montre la dureté des conditions de détention en Allemagne en présentant également des photos d’archives :

    Aucun règlement militaire allemand ne fixe vraiment le sort des prisonniers : autant de camps, autant de régimes particuliers. Le traitement des hommes de troupe est sévère, celui des officiers plus adouci. En 1915, les plus durs se trouvent à Lechfeld, Minden, Niederzwehren : pas de chauffage, pas de lit, peu de soins sanitaires, peu de nourriture. […] En 1916, 300 000 Français sont détenus, dont la plupart, sauf les officiers, astreints au travail en détachements agricoles ou industriels. Plus de 30 000 sont ainsi employés dans les usines Krupp, à Essen. Les conditions épuisantes, les brutalités, la nourriture insuffisante s’avèrent souvent mortelles.

    La Croix Rouge française a mis en ligne sur son site, le 07/08/2014, des « archives prisonniers de 14-18« .
    Présentation : C’est ce fonds d’archives, classé au Registre de la Mémoire du Monde de l’Unesco , que le CICR a mis en ligne sur un site dédié : « Prisonniers de la Première guerre mondiale – les archives du CICR » . Parmi ces innombrables fiches, restaurées et numérisées une par une au cours de l’année 2014, on trouve quelques célébrités, comme le général De Gaulle (photo ci-dessus), alors capitaine, ou le chanteur Maurice Chevallier, qui fut soldat infirmier avant d’être blessé et capturé.


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