Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 14/05/2024.
« En moyenne, un adulte passe 3 heures et 15 minutes par jour sur son téléphone, selon les recherches menées par l’application de « gestion du temps » RescueTime, note le quotidien britannique The Guardian. Sans parler que nous saisissons notre téléphone de manière intempestive environ 58 fois par jour. » (source : Qu’est-ce que le phubbing, cette mauvaise habitude qui peut brouiller nos relations sociales ? par Juliette Brossault, Ouest France, 13/12/2022). Alors quel impact l’usage du téléphone portable a-t-il sur nos liens sociaux ?
L’impact positif du téléphone portable sur nos liens sociaux
Un moyen de « refaire société »
Les services mobiles, l’individu et la société : une révolution psychologique, sociale, anthropologique par Michel J.F. Dubois, Applications et services mobiles : Des usages quotidiens aux enjeux de durabilité, L’Harmattan, 2023.
Extrait :
« On peut donc comprendre que cette connexion permanente et instantanée établit – dans une société des inconnus, pour reprendre l’expression de Seabright (2011) – un nouveau lien collectif qui, puisqu’il supplée aux liens sociaux stables et « classiques », familial, amical et professionnel, peut effacer/remplacer d’autres liens sociaux éphémères nécessaires, liens commerciaux, administratifs, juridiques. Le smartphone n’est pas qu’un compagnon fidèle ; il devient le point de jonction, d’intersection d’une communauté ou de plusieurs, un lieu de communication intra/inter communautés, et différents événements politiques des dix dernières années ont montré la puissance des réseaux créés. La fulgurance de la croissance du smartphone montre qu’il est aussi une réponse à un besoin de recréer du lien, différemment mais de manière beaucoup plus large et donc de « refaire société » ou de « faire société autrement » »
Le renforcement des liens forts
« Les réseaux sociaux numériques contribuent de manière significative à l’entretien des liens forts qu’il s’agisse de liens de filiation ou de liens électifs. Une enquête longitudinale par panel sur les réseaux personnels d’une cohorte de jeunes, interrogés à six reprises depuis 1995, a permis d’observer l’évolution des usages d’internet et des réseaux sociaux le long d’une partie du cycle de vie. Il ressort clairement que « les personnes avec qui les enquêtés interagissent le plus souvent sur Facebook sont avant tout leurs amis les plus proches dans le sens d’une intensité affective, ainsi que les membres de leur famille ». De plus, la force de ces liens et leur intimité peuvent être préservées ou augmentées en empêchant l’intrusion de personnes extérieure. »
Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? du Collège de France.
L’élargissement du cercle social
« Au total, près d’une personne sur deux (47 %) a pu, grâce à internet et aux technologies de l’information, enrichir son cercle relationnel. Le plus souvent en retrouvant une connaissance perdue de vue (40 %, Graphique 42), mais aussi en nouant des liens avec de nouvelles personnes (27 %), voire en faisant une rencontre amoureuse (10 %). »
Veux-tu être mon ami ? L’évolution du lien social à l’heure numérique de Régis Bigot, Patricia Croutte, Sandra Hoibian, Jörg Müller, Crédoc, 2014.
L’impact négatif du téléphone portable sur nos liens sociaux
Un sentiment de solitude exacerbé
David Le Breton, professeur de sociologie et d’anthropologie, souligne le sentiment d’isolement que la sociabilité numérique peut produire dans son article Comment les smartphones menacent-ils nos conversations et nos liens sociaux? (RTBF Actus, 21/03/2024) :
« La société numérique ne se situe pas dans la même dimension que la sociabilité concrète, avec des personnes en présence mutuelle qui se parlent et s’écoutent, attentifs les uns aux autres, en prenant leur temps. Elle morcelle le lien social, détruit les anciennes solidarités au profit de celles, abstraites, le plus souvent anonymes, des réseaux sociaux ou de correspondants physiquement absents. Paradoxalement, certains la voient comme une source de reliance alors que jamais l’isolement des individus n’a connu une telle ampleur. Jamais le mal de vivre des adolescents et des personnes âgées n’a atteint un tel niveau. La fréquentation assidue de multiples réseaux sociaux ou l’ostentation de la vie privée sur un réseau social ne créent ni intimité ni lien dans la vie concrète. »
Personnes âgées, technologies numériques et rupture du lien social : risques de l’exclusion ou leurres de l’inclusion ? par Philippe Pitaud et Rémi Deschamps, Vieillir dans une société connectée ?, p. 33 à 81, 2021.
Extrait :
« Dans ce contexte iconoclaste, les populations fragilisées, et en particulier les personnes âgées, se trouvent au centre de ces préoccupations face aux effets pervers qui ne peuvent tendre, en l’état, qu’à les isoler et à les marginaliser un peu plus chaque jour. Tout cela pose d’emblée la question de la relation entre lien social et technologies numériques. »
L’absence de proximité physique
Le docteur en psychologie, Serge Tisseron, détaille les effets négatifs d’une communication à distance dans son article Facilités et pièges de la communication à distance : les leçons du confinement (Droit, Santé et Société 2020/2 (N°2), p.35-40) :
« Dans les communications de proximité, les postures et les mouvements jouent un rôle essentiel. De façon plus générale, c’est souvent par des mouvements du corps que nous signifions à un interlocuteur que nous sommes d’accord ou pas avec lui, ou encore que nous souhaiterions intervenir. Mais notre corps ne montre pas seulement à notre interlocuteur que nous souhaitons l’interrompre et proposer notre propre vision des choses. Il lui fait aussi ressentir ce que nous ressentons. […] Dans les échanges entre adolescents, l’ignorance et le non-respect de ces règles favorise fréquemment une évolution problématique de la relation. À défaut d’une mise en résonance des mimiques et des corps, qui est si importante à cet âge, les difficultés de communication s’aggravent facilement. »
Pour aller plus loin…
Smartphones : une enquête anthropologique de Nicolas Nova, Métispresses, 2020.
Extrait : « Le smartphone est partout dans nos vies et pourtant nous pensons très mal cet objet si familier. L’emprise qu’exerce l’intimité de l’écran nous a conduits à en faire une affaire personnelle. Addiction, narcissisme et désocialisation, la plupart des termes qui nous servent à en débattre le désignent comme l’agent d’une atomisation de la société. Son écran, dit-on partout, a capturé les individus et mettrait en péril la vie privée, l’attention profonde et le lien social. »
La communication : des relations interpersonnelles aux réseaux sociaux de Jean-François Dortier, Éditions « Sciences humaines », 2016.
Résumé : Un bilan de cinquante ans de recherches sur la communication, de la conversation ordinaire au multimédia, sur la publicité, le téléphone, construit autour de quatre domaines d’interrogation : la communication interpersonnelle, la communication dans les groupes, l’analyse des médias et l’impact des nouvelles technologies. ©Electre 2016
Nouer le lien social : « Pratiques de communication et lien social » par Sébastien Rouquette, Presses Universitaires Blaise Pascal, p. 7-43, 2015.
Extrait : « Les communications entre les gens se font, plus souvent qu’auparavant, à distance (smartphone, Skype, visioconférence…). Elles se font, parallèlement, par un intermédiaire technique ou par un objet technique. Dans ce contexte, il est intéressant de savoir quel est l’impact de l’augmentation des distances dans l’évolution du lien social. Quel est, de même, la place des technologies d’information communication (médiation technique) et des médias de masse (médiatisation technique) dans cette reconfiguration du lien social ? Ces interrogations peuvent être résumées d’une formule : les pratiques de communication offrent-elles de nouvelles façons d’entretenir les liens sociaux ? Quelles dimensions de communication pèsent le plus ? Quelles en sont les conséquences ? »