La fonte du permafrost va-t-elle vraiment déclencher de nouvelles épidémies ?

Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 10/05/2022.

Bloc de permafrost en train de fondre sur le littoral de la toundra d'Alaska
Benjamin Jones, U.S. Geological Survey, © Domaine public Wikimedia Commons

« Le permafrost en anglais (ou pergélisol en français) désigne un sol gelé en permanence, partout dans les régions où la température moyenne annuelle reste en dessous de 0 degré pendant au moins deux ans, peu importe que le sol soit composé de glace ou de roches comme le granit. » Virus, éboulements : tout savoir sur la fonte du permafrost par Coralie Lemke, Scienceset avenir.fr,  le 13/12/2020.
Or, le changement climatique provoque actuellement la fonte de ce permafrost ce qui, commence-t-on à entendre, ne serait pas sans danger pour diverses raisons, dont une raison épidémique.
Faut-il vraiment s’attendre à ce que les perturbations climatiques, à l’origine de la fonte du permafrost, provoquent de nouvelles crises sanitaires ? Si oui, dans quelles proportions et avec quelle probabilité ?

Fonte du permafrost : Libération et réactivation effectives de virus et de bactéries

Un constat établi scientifiquement : le permafrost contient divers virus et bactéries, survivants millénaires libérés par sa fonte.

Permafrost : les virus du passé, une menace pour l’humanité | TV5MONDE – Informations par Vanessa Poyer, le 05/05/2020 (vidéo de 2 min 55).
Présentation :
« En pleine pandémie de coronavirus, nous devrions craindre un autre danger tout aussi sérieux : la fonte du permafrost, pergélisol en français. Sous l’effet du changement climatique, ce sol gelé pourrait bien libérer des agents pathogènes redoutables. Véritable boîte de Pandore dont on ignore le contenu exact, il abrite une multitude de bactéries et virus parfois enfouis depuis des millénaires ou que l’on pensait éradiqués, tels que l’anthrax, la tuberculose, la variole ou encore la grippe espagnole. Autant de nouvelles menaces virales qui planent sur l’humanité.  »

Le permafrost : des sols de l’Arctique aux modèles climatiques | INSU (Institut national des sciences de l’Univers du CNRS ) : Propos recueillis par Aurore Delahayes, le 22/04/2022.
Extrait

Le pergélisol est un écosystème complexe, encore mal connu. Au-delà des cimetières de mammouths dont il regorge, le permafrost contient un grand nombre de composants. Riche en matière organique, il contient aussi de l’air, de l’eau, des bactéries et de la glace. Dans ce sol stratifié, plus le permafrost dégèle, plus la couche active gagne en épaisseur [… ]

Une nouvelle pandémie va-t-elle émerger des glaces ? par Luigi Jorio, www.swissinfo.ch, le 21/05/2020.
Extrait :
« La fonte des glaces peut libérer des virus et des bactéries potentiellement nuisibles pour l’homme. Dans le permafrost des Alpes suisses, on a identifié un millier de micro-organismes, dont une bonne partie sont inconnus.  »

Sous le sol gelé de Sibérie, des virus géants et des bactéries résistantes par Angela Bolis, usbeketrica.com, le 13/04/2021.
Extrait :

En 2014 et 2015, Jean-Michel Claverie et sa collègue Chantal Abergel ont ainsi découvert deux virus géants dans le sol sibérien, datant de plus de 30 000 ans : Pithovirus sibericum et Mollivirus sibericum. Et ils ont réussi à les réactiver en laboratoire. Ces virus de plus de 0,5 micron (millième de millimètre), visibles avec un simple microscope optique, infectent les amibes et sont a priori inoffensifs pour les espèces animales, humain compris. Mais le permafrost recèle bien d’autres microbes divers et variés… « L’idée que d’autres familles de virus puissent survivre plusieurs millénaires dans le permafrost est maintenant bien établie », affirme Jean-Michel Claverie.


Entre bactéries résistantes aux antibiotiques et virus potentiellement dangereux : un problème réel

Sous le sol gelé de Sibérie, des virus géants et des bactéries résistantes par Angela Bolis, usbeketrica.com, le 13/04/2021.
Extrait :
« Après la découverte de nouveaux virus, des chercheurs ont trouvé des bactéries résistantes aux antibiotiques dans le sol gelé de Sibérie. Faut-il craindre leur diffusion à l’heure où la fonte du permafrost s’accélère à cause du réchauffement climatique  ? On a tenté d’y voir plus clair dans le cadre de notre opération mensuelle #SauverLePrésent, en partenariat avec France Culture, Le Parisien et Sciences & Vie Junior.  »

La fonte du permafrost a déjà été à l’origine de l’épidémie d’anthrax, en 2016, en Sibérie :
La Sibérie victime d’une épidémie d’anthrax par Caroline Larson, émission En direct du monde, France Info, le 08/08/2016. Page à consulter et replay radio (5 min.).
Extrait :
« La bactérie en question a été libérée par le dégel du permafrost, ces sols gelés en profondeur. C’est en fait une conséquence concrète du réchauffement climatique. Déjà 2 300 rennes décimés au minimum et  même un jeune garçon, décédé à cause de cette épidémie d’anthrax. La bactérie provoque une infection pulmonaire qui, si elle n’est pas traitée, peut se révéler fatale. C’est un phénomène impressionnant, mais qui n’a rien de nouveau. Tous les ans, ce sont 30 à 60 cm de ce permafrost qui fondent quand il commence à faire chaud.
[… ] le plus grave, ce sont donc ces bactéries telles que l’anthrax qui condamnent aujourd’hui des troupeaux entiers. La maladie du charbon a causé la mort de cet enfant qui avait mangé de la viande de renne contaminée.
 »


Quelle probabilité de risque épidémique ?

Une probabilité assez limitée

La fonte du permafrost pourrait-elle provoquer la libération de virus pathogènes ? par Florence Heimburger, site curieux.live, rubrique “Le vrai du faux”, le 14/01/2022.
La réponse est apportée par Jean-Claude Manguerra, virologue à l’Institut Pasteur.
Extraits  :
« Ce dégel libère petit à petit ce qui y était retenu prisonnier depuis longtemps et, potentiellement, des virus et bactéries faisant ré-émerger des maladies du passé.” [… ]
Mais si cela s’est produit en 2016 avec l’anthrax contenu dans la carcasse d’un renne infecté, “la plupart des bactéries et virus type variole, rage, rougeole sont très fragiles et incapables de survivre à la décongélation de la glace. En outre, pour commencer une chaîne épidémique, il faudrait qu’au moment du dégel, le virus infecte un être humain et que celui-ci en rencontre ensuite plusieurs autres …  »
Il s’agit donc selon le scientifique d’un “risque infime” en termes d’épidémies humaines.

« Concernant les mimivirus découverts en Arctique, « il ne s’agit pas de virus conventionnels : à mi-chemin entre les virus et les bactéries, ces microbes très anciens sont inoffensifs pour les humains et les animaux mais capables d’infecter des amibes (micro-organismes unicellulaires) .  »

Une nouvelle pandémie va-t-elle émerger des glaces ? par Luigi Jorio, www.swissinfo.ch, le 21/05/2020.
Selon Beat Frey, membre de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSLLien externe), à la tête d’un projet pionnier :
« Einfluss des Klimawandels auf das Permafrost-Mikrobiom  » [traduction Google] « Impact du changement climatique sur le microbiome du pergélisol  » (… ) s’est fixé comme objectif d’étudier les formes de vie microscopiques du permafrost), il ne faudrait pas céder à la panique :
« Cependant, il n’est pas dit que les micro-organismes présents dans la glace soient forcément nuisibles. L’espoir des chercheurs est de trouver des espèces ayant une certaine utilité, par exemple dans le domaine médical et biotechnologique. « On pourrait exploiter les propriétés de certaines enzymes qui sont actives à basse température. Les bactéries du permafrost peuvent également fournir des indications importantes sur la résistance aux antibiotiques », note Beat Frey. (… ) Les virus peuvent infecter des bactéries présentes dans la glace. Le passage direct aux humains est en revanche peu probable, selon Beat Frey. « Ce qui pourrait arriver est un saut à un animal, comme la marmotte, qui boit l’eau issue du dégel. Mais nous sommes dans un scénario purement théorique. Je ne pense pas que ce soit possible  », rassure-t-il.

Des scientifiques russes cherchent des virus préhistoriques dans la glace par Sophie Bécherel, France Inter, le 19/02/2021.
Extrait :
« Si longtemps après, peuvent-ils être encore actifs ? On peut en douter, d’une part car les virus ne se multiplient que s’ils réussissent à infecter un hôte et d’autre part, parce que, selon le virologue de l’Institut Pasteur, Jean-Claude Manuguerra, la décongélation du sol sibérien n’est ni contrôlée, ni linéaire. « La probabilité de les retrouver viables est faible. Il faudrait que la décongélation ait lieu en une seule fois », selon lui. Il se veut donc rassurant.

D’où viennent-ils ces virus géants ? « Peut-être, sont-ils issus d’un mécanisme d’échappement d’organismes plus complexes » suggère t-il. Parce que les Mimivirus n’infectent que les amibes et que l’amibe est très éloigné de l’animal, il y a peu de chances que la barrière d’espèces soit franchie.  »


Peu de réponses sur d’ éventuelles épidémies futures et une recherche qui doit se poursuivre

CO2 et virus oubliés : le permafrost est « une boîte de Pandore » par Boris Loumagne, site France Culture, 15/12/2018.
Extrait :
« Aussi dramatiques que puissent être ces épidémies d’anthrax, les virus libérés par le réchauffement climatique sont ceux présents dans les couches superficielles du pergélisol. Ces agents infectieux sont donc les plus récents et ils sont par conséquence connus de la médecine moderne. C’est ce qui fait dire au Pr Claverie qu’en matière de virologie, ce dégel lent des couches superficielles n’est pas le danger le plus imminent  : « A cause du réchauffement climatique, des routes maritimes sont désormais ouvertes six mois par an. [… ] Désormais ces zones peuvent être exploitées. Là est le danger ! Prenons les Russes. Ils installent des mines à ciel ouvert. Et ils retirent le pergélisol, parce que les minerais ne sont pas dans cette couche d’humus. Ces mines font 3 à 4 kilomètres de diamètre et jusqu’à un kilomètre de profondeur. On exhume alors du permafrost qui peut être âgé d’un million d’années. Et là on tripote des choses avec lesquelles on n’a jamais été mis en contact. C’est un peu la boîte de pandore.”
Qui plus est, le danger est potentiellement partout dans le permafrost, car « même si l’on se limite à creuser jusqu’à 30 mètres de profondeur, ce qui équivaut à 30.000 ans et donc à la disparition de Neandertal, cela peut être dangereux. »
 »

Des bactéries et virus inconnus risquent d’être libérés par le dégel du pergélisol par Damien Altendorf, rédacteur scientifique, site Science Post, le 28/10/ 2021.
Extrait :
« Nous avons une très faible compréhension du type d’extrémophiles qui ont le potentiel de réapparaître  », relate Kimberley Miner, auteur principal du papier. «  Ce sont des microbes qui ont co-évolué avec des paresseux géants ou des mammouths, et nous n’avons aucune idée de ce qu’ils pourraient faire une fois libérés dans nos écosystèmes. Bien que certains des dangers associés à un dégel allant jusqu’à un million d’années de matière aient été identifiés, nous sommes loin d’être capables de modéliser et de prédire exactement quand et où ils se produiront. Cette recherche est essentielle  ».

Le coronavirus de demain sera-t-il marin ? par Timothée Ourbak, The Conversation, le 05/10/2020.
[Expert changement climatique, Agence française de développement (AFD) ]
Extrait :
«  Bien que difficilement évaluable, l’une des transformations attendues se trouve dans la fonte des glaces polaires et plus globalement du permafrost. Par exemple, les experts du GIEC estiment que l’émergence de maladies, telles que celles affectant les ongulés et attribuées aux nématodes, va être favorisée ; et ce malgré l’incertitude qui entoure encore l’ampleur des conséquences des changements climatiques.
De plus, l’arrivée de nouvelles espèces risque de bouleverser les équilibres existants : les coraux par exemple sont déjà concurrencés par de nouvelles espèces non coralliennes — un phénomène qui pourrait aussi arriver au niveau des pôles. Dans la mesure où la biodiversité joue un rôle clef dans le fonctionnement des écosystèmes, ces bouleversements pourraient aggraver les conséquences des changements climatiques.
 »


Quelles sont les zones les plus directement impactées par ce risque ?

État des lieux du permafrost

Virus, éboulements : tout savoir sur la fonte du permafrost – Sciences et Avenir
Les régions de pergélisol recouvrent environ un cinquième de la surface terrestre. On trouve du pergélisol dans de nombreuses régions, comme en Sibérie, Mongolie, Alaska, Antarctique, au Canada et même au Tibet.

Dégel du pergélisol, une menace pour le climat ?, enquête d’Yseult Berger, en collaboration avec Yann Bourdelas, Xavier Gibert, Simon Rozé, site Le Blob, 01/11/2018.
Voir en particulier la carte des zones actuelles de permafrost dans les régions nordiques.

Le dégel du pergélisol représente-t-il un point de bascule pour le climat ?, par l’Insu (CNRS), avec Bon pote, site insu.cnrs.fr, 04/11/2021.

Explication du pergélisol (de ce que c’est, de sa localisation actuelle, des problèmes que sa fonte pose… ) en un sketchnote très clair. 

Le réchauffement du permafrost en Arctique détecté par la surveillance sismique, inee.cnrs.fr, le 17/08/2021.
Extrait :
« La surveillance sismique se révèle être particulièrement appropriée pour étudier la stabilité du permafrost car la vitesse des ondes sismiques est très sensible à la teneur en glace du sol, et varie lorsque l’eau interstitielle gèle ou fond. »
L’INEE, créé en 2009, est l’Institut écologie et environnement est un institut de recherche fondamentale du Centre national de la recherche scientifique.
Les domaines de recherche sont l’écologie globale notamment la biodiversité et les relations hommes-milieux.

Le point de non-retour de la fonte du permafrost est « imminent »
Extrait :
« Les tourbières de pergélisol d’Europe et de Sibérie occidentale sont de véritables puits de carbone. Elles permettent, grâce à un sol recouvert de glace tout au long de l’année, de séquestrer près de 40 milliards de tonnes de carbone, soit le double de la quantité stockée dans l’ensemble des forêts européennes. Or une nouvelle étude dirigée par l’Université de Leeds et publiée dans la revue Nature Climate Change, estime que le point de basculement climatique, le « tipping point », pourrait être atteint plus tôt que ce que les experts ne le pensaient.

« Les projections indiquent que, même en déployant les plus grands efforts pour réduire les émissions mondiales de carbone, et donc limiter le réchauffement de la planète, d’ici 2040, les climats de l’Europe du Nord ne seront plus suffisamment froids et secs pour entretenir le permafrost tourbeux« , soulignent les chercheurs. Une conclusion particulièrement effrayante puisque la matière organique va commencer à se décompenser à mesure que le pergélisol fond et va ainsi libérer des gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone et le méthane. »


Projections sur l’évolution du permafrost à plus long terme

Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les augmentations de la température de surface moyenne mondiale devraient entraîner une dégradation continue du pergélisol :
Chapter 7 : Risk management and decision making in relation to sustainable development
Extrait du  Paragraphe 7.2.2.7  [traduction Google] :
« Il existe un risque de dommages à l’environnement naturel et bâti en raison de l’instabilité du sol liée au dégel du pergélisol. [… ] Des risques élevés existent déjà à basse température ( confiance élevée ). Environ 21 à 37 % du pergélisol arctique devraient fondre sous un réchauffement de 1,5 °C (Hoegh-Guldberg et al. 2018151). Cela passe à un risque très élevé d’ environ 2 °C (entre 1,8 °C et 2,3 °C) d’augmentation de la température depuis l’époque préindustrielle ( degré de confiance moyen ) avec 35 à 47 % du dégel du pergélisol arctique (Hoegh-Guldberg et al. 2018152). Si le climat se stabilisait à 2 °C, environ 40 % de la superficie du pergélisol serait encore perdue (Chadburn et al. 2017153), entraînant près de quatre millions de personnes et 70 % des infrastructures actuelles dans la zone de pergélisol panarctique exposées au dégel du pergélisol et à un risque élevé (Hjort et al. 2018154). En effet entre 2°C et 3°C ​​un effondrement du pergélisol peut se produire avec un déplacement drastique du biome de la toundra vers la forêt boréale (Drijfhout et al. 2015; SR15155). Il existe des preuves mitigées d’un point de basculement dans l’effondrement du pergélisol [… ] entre 2°C et 3°C ​​(Hoegh-Guldberg et al. 2018156).  »

Projet québécois : Projections climatiques et conséquences sur la fonte du pergélisol
Extrait :
« Comme le CEN “Centre d’études nordiques” compile les données du climat et les températures provenant de nombreux câbles à thermistances dans plusieurs communautés du Nunavik, les données recueillies au cours des trente dernières années ont servi à valider et à calibrer des simulations de l’impact du changement climatique sur le dégel du pergélisol jusqu’en 2100 selon six différents scénarios de production mondiale de gaz à effet de serre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à savoir les RCP 4.5 et 8.5 minimum, moyen et maximum (RCP : Representative Concentration Pathways).  »


Eurêkoi Bibliothèque publique d’information