Qui était Thémistocléa, la femme dont Pythagore aurait suivi l’enseignement ?

Bibliothèque Sainte-Geneviève – notre réponse actualisée le 14/03/2024.

Oreste à Delphes, la Pythie, le trépied. Cratère à figures rouges, vers 330 av. J.-C.
Oreste à Delphes, la Pythie, le trépied. Cratère à figures rouges, vers 330 av. J.-C., Wikimedia Commons

Selon la tradition, Pythagore aurait reçu une partie de son savoir de la pythie de Delphes, Thémistocléa. Le dictionnaire du CNRTL, définit une pythie comme une « prêtresse d’Apollon qui rendait les oracles à Delphes ». Qui était vraiment Thémistocléa, cette femme qui semble avoir grandement contribué à l’instruction de Pythagore ?

Qui était Thémistocléa ?

La prêtresse de Delphes

Selon plusieurs sources anciennes, Thémistocléa était prêtresse (ou pythie) à Delphes vers 600 avant notre ère. Cette femme aurait enseigné la philosophie et eu Pythagore pour disciple.

Dictionnaire des philosophes antiques de Richard Goulet, CNRS Editions, 2018 :

« Aristocène de Tarente affirmait que « Pythagore a[vait] emprunté la plupart de ses doctrines éthiques à Thémistocleia, la [prêtresse] de Delphes ». On retrouve la même idée dans plusieurs sources. […] Le nom de la prêtresse delphique qui aurait instruit Pythagore est différent chez Porphyre (Aristocleia) et dans la Souda (Théocleia). […] Mais c’est celui transmis par Diogène Laërce qui semble être le plus parlant étymologiquement, et donc le plus probable, les deux autres n’étant que des déformations banalisantes produites selon le principe de la lectio facilior (Thémistocleia ayant une seule attestation, à Athènes). »

L’initiation des femmes de l’Antiquité à la Franc-Maçonnerie de Lucie Leforestier, MdV éditeur, 2016 :

« Pythagore fut l’un des sages les plus importants de l’Antiquité. Il fonda une communauté initiatique et offrit à ses disciples un enseignement ésotérique fondé sur la géométrie sacrée. Ce que l’on sait moins, c’est que Pythagore favorisa la création de communautés initiatiques féminines. Les textes de Diogène Laërce et Porphyre révèlent que Pythagore fut initié par une prêtresse du temple de Delphes : Thémistocléa. »

La sœur de Pythagore ?

Plusieurs auteurs présentent Thémistocléa comme la sœur de Pythagore.

« Le voyage de Delphes fut un de ceux que fit ce philosophe pendant son séjour dans la Grèce. Il apprit à Delphes plusieurs vérités morales en conversant avec une personne que Laërce nomme Thémistocléa, Porphyre Aristocléa, Suidas Théocléa, et qu’on prétend même avoir été sa sœur. »

Histoire de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, avec les Mémoires de littérature tirés des registres de cette académie… de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Imprimerie royale, 1743.

« THEMISTOCLEA, sœur de Pythagore, passait dans son siècle pour avoir eu grande part à plusieurs ouvrages de son frère. »

De l’éducation physique et morale des femmes : avec une notice alphabétique de celles qui se sont distinguées dans les différentes carrières des sciences & des beaux-arts, ou par des talens & des actions mémorables de Philibert Riballier, Chez les frères Estienne, 1779.

Toutefois, cette théorie est remise en question dans le Dictionnaire des philosophes antiques de Richard Goulet, CNRS Editions, 2018 :

« On trouve dans l’Histoire des femmes philosophes de Ménage (en latin), qui suit (p. 487-508) son In Diogenem Laertium (Amsterdam 1663, 1692), aux §§ 77-78, une discussion (sur une Théomistocléa, ou Théocléa, ou Aristocléa), illustrant le type de confusion – entre les mots « Delphes » et « sœur » qui a abouti à doter Pythagore d’une « sœur » philosophique, et son éducatrice en cette matière, alors que le témoignage initial parlait de la Pythie « delphique », et de ses révélations à Pythagore. »

Personnage réel ou fictif ?

Richard Goulet formule une hypothèse qui remet en cause l’histoire de l’enseignement de Pythagore par Thémistocléa dans le Dictionnaire des philosophes antiques, CNRS Editions, 2018 :

« L’apprentissage du philosophe auprès de la Pythie delphique est souvent mentionné dans la tradition biographique, et il semble que cela remonte en dernière instance à Aristoxène, qui à son tour reproduisait peut-être une légende populaire, soit telle quelle soit (plutôt) « revue et corrigée » dans un sens moins « surnaturel » et plus « séculier » et « laïc ». Ce rapport privilégié avec a prophétesse d’Apollon Pythien s’intègre bien d’ailleurs dans un ensemble considérable de traditions destinées à souligner le lien étroit qu’entretenait Pythagore avec le dieu de Delphes. […] Si l’on tient compte des affinités que présente Aristoxène avec la branche « mathématique » du mouvement pythagoricien, une affirmation comme celle-ci ne paraît pas tellement l’expression d’une attitude dédaigneuse des « gens de l’extérieur » ou des ennemis de la secte pythagoricienne vis-à-vis de Pythagore, visant à réduire sa sagesse à un emprunt. […] La légende de l’apprentissage delphique de Pythagore semble plutôt comme une tentative de défendre, en la présentant sous un mode plus rationnel et, dirait, plus « terre-à-terre », l’origine révélée et divine (apollinienne) de son enseignement. »

Pour aller plus loin…

Pour en savoir plus sur le pythagorisme et les femmes, vous pouvez consulter l’article Savoir féminin et sectes pythagoriciennes par Jufresa Montserrat, Clio. Femmes, Genre, Histoire n°2, 1/11/1995, disponible en ligne sur OpenEdition.
Extrait : « Parce qu’il s’est voulu dès l’origine association ouverte aux deux sexes, le Pythagorisme a permis à quelques femmes d’accéder aux savoirs scientifiques, à la parole et à l’écriture. »

Pour en savoir plus sur les mythes de Delphes, vous pouvez consulter l’article La « rationalité » des mythes de Delphes : les dieux, les héros, les médiateurs par Emilio Suárez de la Torre, Kernos 15/2002, disponible en ligne sur OpenEdition.
Extrait : « Le rôle des femmes delphiques dans le procès de transmission de la parole révélée et la tendance à faire de Delphes une sorte de foyer de la sagesse. Aristoxène (selon Diogène et Porphyre) affirmait que Pythagore enseignait des choses qu’il avait apprises d’une femme delphique (qu’ils appellent respectivement Themistocléa et Aristocléa) et qu’il expliquait une partie de cette doctrine d’une façon symbolique, propre à l’initiation. »

Pour en savoir plus sur la vie des femmes de la Grèce Antique, vous pouvez consulter l’article Une étude dévoile la vie jusqu’alors inconnue des femmes de la Grèce antique par Maria José Noain, National Geographic, 3/10/2022, disponible en ligne sur National Geographic.
Extrait : « Certaines femmes ayant reçu une éducation ont par la suite contribué de manière remarquable aux arts et aux sciences. Vers 350 avant notre ère, Axiothée de Phlionte étudia la philosophie avec Platon. Selon certaines sources, elle se serait grimée en homme pour pouvoir le faire. Au sixième siècle de notre ère, la prêtresse delphique Thémistocléa (ou Aristoclea) fut philosophe à part entière et possiblement professeure du célèbre Pythagore. »

Pour les plus jeunes, nous vous conseillons le court podcast Thémistocléa de la série Ces femmes qui ont changé l’histoire, Lumni, 2021.

L’artiste Judy Chicago mentionne Aristocléa dans son œuvre d’art féministe The Dinner Party (1974-1979).


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