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Qui était le père de Romain Gary et quels liens entretenaient-ils ?


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    Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 22/04/2024.

    Profil gauche noir et blanc de Romain Gary au premier plan et profil droit lui ressemblant en arrière-plan flou. Les deux profils se font face.
    Montage Eurêkoi (Bpi) d’après une photographie de Sam Shaw, Public-domain via Wikimedia Commons

    Romain Gary, né Roman Kacew, a toujours entretenu le mystère sur ses origines. L’écrivain se plaisait à brouiller les pistes sur son identité, se cachant derrière de multiples pseudonymes et donnant des informations contradictoires sur son enfance. En 1956, Gary raconte en interview que son père était un diplomate russe et sa mère une comédienne française. Or, rien de tout cela n’est vrai. Qui était le père de Romain Gary et quels liens entretenait-il avec son fils ?

    Qui était le père de Romain Gary ?

    La vie d’Arieh-Leïb Kacew, dit Leiba

    Arieh-Leïb Kacew, russe de confession juive, épouse Mina Owczyńska le 28 août 1912. De cette union, un fils nait le 8 mai 1914 : Roman Kacew, dit Romain Gary. Après la Première Guerre mondiale, Leiba et Mina se séparent. Leiba se remarie avec Frida Bojarski et a deux autres enfants.

    « Son père n’était pas la star du cinéma muet d’avant-guerre Ivan Mosjoukine – comme Gary l’a si souvent prétendu –, mais Arieh-Leïb Kacew, dit Leiba, Russe de confession juive et fourreur de profession. C’est en août 1912 qu’il épouse Mina Owczyńska, jeune femme de 33 ans, juive elle aussi, divorcée d’un certain Aron Brekshtein (écrit Reouven Bregsztein ailleurs), avec qui elle a eu un fils, Joseph, né à Varsovie en 1902. Puis la guerre éclate peu après la naissance de Roman, Leiba est mobilisé dans l’armée russe impériale, et Mina, avec son enfant de quelques mois, s’exile sans doute du côté de Święciany, d’où elle est originaire, puis, à partir de septembre 1915, entre Koursk et Moscou. Le 21 septembre 1921, la mère et l’enfant rentrent à Wilno et s’installent au n°16 de la rue Grande-Pohulanka. À partir de mars 1922, Joseph, ce demi-frère dont Gary n’a jamais parlé, ni dans ses interviews ni dans ses livres, séjourne à Vilnius. Il en repart un an plus tard, en avril 1923, et meurt à Wiesbaden, vraisemblablement en 1925. Entre-temps, Leiba est revenu ; au début de 1925 il quitte Mina pour Frida Bojarski, dix-sept ans de moins qu’elle. De cette union naissent deux enfants : Valentina Kacew, en juin 1925, et Pavel, en mars 1926. S’il a vu naître sa demi-sœur, Roman n’a jamais connu son autre demi-frère : c’est en effet le 12 août 1925 que sa mère et lui quittent Wilno pour Varsovie. »

    Les collections n°1 Romain Gary : Le personnage mythique, Éd. Lire Magazine littéraire, 2021.

    Comme la plupart des Juifs de Vilnius, Leiba et sa nouvelle famille comptent parmi les victimes de la Shoah. Frida, Valentina et Pavel sont exécutés en 1944. Leiba a vraisemblablement connu le même sort.

    « Les années passent, Roman et Mina sont désormais à Nice, puis c’est la guerre : dans le ghetto de Wilno, pour échapper aux sélections, Leiba se fait ramoneur et se rajeunit de dix ans. Au mois de septembre 1943, Frida, Valentina et Pavel sont déportés au camp de Klooga, en Estonie. En septembre 1944, l’armée rouge approchant, les nazis liquident le camp. Plus de deux mille prisonniers sont tués, certains d’une balle dans la nuque, d’autres arrosés d’essence et brûlés vifs. Parmi eux, Frida, 48 ans, Valentina, 19 ans, et Pavel, 18 ans. Qu’est-il advenu de son père ? Dans La Promesse de l’aube, Gary raconte que, peu après son Goncourt, il reçut une lettre l’informant qu’il était « mort de peur, sur le chemin de la chambre à gaz ». Ni la lettre ni la mort ne semblent vraisemblables, et tout porte à croire que Leiba Kacew a partagé le sort de la plupart des Juifs de Vilnius : il a sans doute été assassiné en 1943. »

    Les collections n°1 Romain Gary : Le personnage mythique, Éd. Lire Magazine littéraire, 2021.

    Un père absent

    Arieh-Leïb Kacew est un père absent dès les premières années de la vie de son fils. Il est d’abord mobilisé dans l’armée impériale russe quelques mois après la naissance de Roman. Puis, peu après son retour, il abandonne sa famille pour vivre avec Frida Bojarski.

    « Arieh Kacew navigue dans cet univers composite avec un certain talent. Son savoir-faire d’artisan fourreur le met un peu à part de la majorité de la communauté. Il recrute ses clients chez les notables de la ville. Ses affaires doivent être florissantes, car il est en mesure de doter son logis du téléphone, et d’autres commodités réservées à la grande bourgeoisie. C’est un homme occupé, qui soigne avec grande attention sa clientèle, surtout quand il s’agit de belles dames. Sa vie de famille semble moins heureuse. Ses relations avec son fils en souffrent. Et pour cause, il est certain qu’Arieh est absent des premières années de la vie Roman. Quelques mois après la naissance de son fils, Arieh Kacew est mobilisé dans l’armée du Tsar. […] Arieh ne réapparait dans la vie de son fils qu’au tout début des années 1920. Roman a sept ans. Les retrouvailles vont-elles permettre de rattraper le temps perdu ? Roman a à peine le temps de s’habituer à cette nouvelle présence, que tout s’écroule. Au début 1925, Arieh s’installe avec Frieda Bojarski. […] Roman et sa mère se retrouvent seuls face à eux-mêmes. Que peut-il se passer dans la tête d’un gamin de 9 ans face à cette réalité ? Force est de constater que plusieurs décennies après, Roman devenu Romain, n’a toujours pas fait son deuil. »

    De Gary à Ajar, le voyage de Romain de Valéry Coquant, Éd. Ex Aequo, 2020.

    Une figure paternelle fantasmée

    L’abandon de son père créé un véritable traumatisme chez Gary. Pour le surmonter, Gary invente une mythologie autour de ses origines. Il prétend notamment que son père est le célèbre acteur Ivan Mosjoukine.

    « Il adopte à l’encontre d’Arieh une ambivalence complexe. Il ne cesse de l’évoquer, aussi bien dans La promesse de l’aube, que dans La nuit sera calme, ou même dans Lady L. Mais pour l’aborder par la bande et accoucher d’un nouveau mensonge : son père serait le grand acteur Ivan Mosjoukine, la star du cinéma muet. […] Pour bien enfoncer le clou, Gary prit l’habitude d’exhiber une photographie de la vedette, afin d’entériner cette ressemblance physique frappante. Le cliché dédicacé avait été déniché aux Puces. Dans ce numéro de haute voltige, Gary oubliait simplement de dire que suite à plusieurs blessures graves, pendant la Seconde Guerre mondiale, son nez avait dû être reconstitué par des chirurgiens… »

    De Gary à Ajar, le voyage de Romain de Valéry Coquant, Éd. Ex Aequo, 2020.

    Des années plus tard, Gary revient à une version plus proche de la réalité. Cependant, il imagine toute une histoire autour de la mort de son père. Cette mise en scène revêt un aspect symbolique selon certains écrivains.

    « Lorsqu’il décide de tomber le masque, Gary revient à une version plus prosaïque. Son vrai père s’appelle Arieh Kacew. Il est fourreur de profession. Il est mort au seuil de la chambre à gaz d’un camp d’extermination allemand. Crise cardiaque ! […] C’est un véritable règlement de compte. Le petit garçon sensible a été déçu par son père. Cette déception prend l’ampleur d’un traumatisme qui hante Gary des années après. À ses yeux, cette défaillance cardiaque prend peut-être la valeur d’une punition. Après tout, lorsqu’Arieh a rencontré Frieda, son cœur a cessé de battre pour Mina et son fils. Pour Roman c’est une faute ! Et c’est justement par le siège de cette faute que Romain, des années plus tard, le fait périr.

    De Gary à Ajar, le voyage de Romain de Valéry Coquant, Éd. Ex Aequo, 2020.

    La psychanalyste Rachel Rosenblum s’est intéressée à l’ambivalence que la mort de Leiba a pu créer dans l’esprit de Romain Gary :

    « Gary a été rejeté et humilié par le remariage de son père et il a probablement éprouvé des sentiments pour le moins ambivalents pour les enfants qui l’ont remplacé. Que se passe-t-il alors lorsque, devant les photos du musée juif de Varsovie, il prend conscience de ce qui est arrivé ? Que se passe-t-il quand il découvre que l’ambivalence qu’il a éprouvé, ambivalence qui peut aller jusqu’à la haine, a été assouvie ? […] Une telle situation représente un immense danger pour le psychisme. Ce danger correspond au court-circuit qui peut se produire entre un fantasme (celui d’une vengeance exercée contre le père) et une perception qui, elle, relève de la réalité externe (la Shoah par balles a bien eu lieu, Arieh-Leïb Kacew et ses enfants ne reviendront pas). »

    Mourir d’écrire ? : Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants de Rachel Rosenblum, Éd. Humensis, 2019

    Pour aller plus loin…

    Romain Gary, le caméléon de Myriam Anissimov, Éd. Denoël, 2004.
    Résumé  : Retrace la vie de l’écrivain Romain Gary (1914-1980). Tente de démêler la part de fiction et celle de réalité dans les récits autobiographiques de l’auteur qui employa plusieurs pseudonymes tels Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat et Emile Ajar. Enquête sur sa famille, ses origines juives russo-polonaises, sa naissance à Vilnius, son arrivée en France dans les années 30, sa carrière de diplomate, etc.

    La promesse de l’aube de Romain Gary, Éd. Gallimard, 2014.
    Résumé : Roman autobiographique qui met en lumière les rapports intenses entre un fils et sa mère. Cette dernière porte tous ses espoirs et son ambition sur son enfant, qu’elle élève seule et aime d’un amour inconditionnel. A lui de devenir célèbre, de ne pas démériter et de porter le fardeau d’un amour maternel oppressant.

    Le nomade multiple : entretiens par Romain Gary, Les grandes heures, INA et Radio France, 2006
    Résumé  : Cet enregistrement restitue la totalité des dix entretiens radiophoniques originaux diffusés sur France-Culture du 10 juin au 1er juillet 1969 : « Les premières années » ; « Guerre et résistance » ; « Le diplomate » ; « L’écrivain » ; « La vie littéraire » ; « Les publics et les critiques » ; « Théâtre et cinéma » ; « L’œuvre romanesque » ; « Les arts » ; « En guise de bilan provisoire ».

    Nous vous conseillons de consulter le site de l’Institut français en Lituanie qui propose de nombreuses ressources sur la vie et l’œuvre de Romain Gary.


    EurêkoiBibliothèque publique d’information


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