Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 27/02/2023.
« Qui a peur de Virginia Woolf ? », a-t-il été demandé au service Eurêkoi. Une interrogation convoquant à la fois, la pièce du dramaturge Edward Albee, datant de 1962 et, bien sûr, l’adaptation culte de cette pièce au cinéma par Mike Nichol, datant de 1966, mais pas seulement…
Résumons sommairement la pièce, ici : Sur le campus de La Nouvelle Carthage, George et Martha, un couple de quinquagénaires, profitent d’un dîner auquel ils ont convié deux jeunes collègues, Nick et Honey, pour passer en revue, sans gêne ni retenue aucune, tout ce qui dysfonctionne dans leur ménage ! Un petit jeu qui finira par dégénérer, la soirée se muant en une véritable nuit de Walpurgis ! Toutefois, pourquoi ce titre si curieux, sans rapport avec Virginia Woolf ? La force d’un tel titre serait d’appeler, de citer, comme sur un malentendu, la haute figure de Woolf, comme nimbée de mystère, mais à quelles fins ?
Voici quelques éléments de réponse, ou pistes documentaires sur le choix de ce titre.
Edward Albee, ou l’introduction de l’absurde aux États-Unis
Edward Harvey, né le 12 mars 1928, (Washington, E-U.) et décédé le 16 septembre 2016, est considéré comme l’un des plus grands dramaturges américains de son époque. Il remporte le prix Pulitzer à trois reprises, un record. Sa pièce la plus connue, Qui a peur de Virginia Woolf ?, « avec son mélange de dramatisation et de dialogues, réinvente le théâtre américain d’après-guerre, au début des années 1960 », comme le précise Jamie Middleton dans l’anthologie dirigée par Julian Patrick, 501 écrivains : Un tour du monde de la littérature (Éditions Omnibus, p. 494).
Présentée pour la première fois à Broadway, au Billy Rose Theater, le 13 octobre 1962, la pièce Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who’s Afraid of Virginia Woolf?) remporte un immense succès. La distribution originale se compose de Uta Hagen (Martha), Arthur Hill (George), Melinda Dillon (Honey) et George Grizzard (Nick), dans une mise en scène d’Alan Schneider. Les photos de cette première représentation par Friedman-Abeles, mises en ligne par la Bibliothèque publique de New York (NYPL), en restituent quelque peu l’ambiance, cf. les clichés inv. 5020228, 5020230, 5020221, 5020224, ou 5020215.
Who’s Afraid Of Virginia Woolf? paraît pour la première fois chez Jonathan Cape (1962), puis chez Atheneum Books (1963), etc. Outre-Atlantique, la première adaptation française, par Jean Cau, paraît aux Éditions Robert Laffont, en 1964. Une adaptation plus moderne, par Pierre Laville, est publiée chez Actes Sud, en 1996.
C’est lors du premier acte, intitulé « Jeux et masques », que Martha goguenarde, entonne pour la première fois, la chanson qui donne le titre à la pièce : à la page 11 de l’adaptation de Jean Cau (Robert Laffont), cf. extrait 1, et à la page 12, dans l’adaptation de Pierre Laville (Actes Sud), cf. extrait 2. Mises côte à côte, on peut comparer ces deux traductions différentes, l’une moins policée (ou plus crue) que l’autre :
Extrait 1 :
« Martha (comme si elle parlait à un bébé qu’elle voulait consoler). Pauvre petit garçon… Mon gros petit bébé… (Il boude.) Hein ? Héééé ? Qu’est-ce qu’il fait, le petit garçon ? Il boude ? (Changement de ton brusque, comme une mère qui devient sévère.) Hein ? Fais voir !… Tu boudes ? C’est ça que tu fais ?
George (très calme). Ça n’a aucune importance, Martha.
Martha (cri nerveux.) Hiiiiiiiiiiiii…
George. Je te dis que ça n’est rien…
Martha. Hiiii… (George ne bronche pas.) Hé ! (George ne bronche pas. Plus haut.) Hé ? Pssst ? (George lève les yeux.) Hé ? (Elle chante.)
“Qui a peur de Virgina Woolf,
Virgina Woolf,
Virgina Woolf,
Qui a peur de Virgina Woolf ?”,
(Elle rit de manière artificielle.) Ha, ha, ha, ha ! (George ne bronche pas.) Alors, quoi ? C’était pas drôle ? Hein ? (Elle le provoque.) Moi, j’ai trouvé ça très drôle…, très drôle… T’aimes pas ça, toi ?
George. Mais si, Martha, mais si…
Martha. T’étais plié en deux de rire quand on a chanté ça, tout à l’heure…
George (précis). J’ai souri… Je ne me suis pas tordu de rire… J’ai souri.
Martha (examinant le fond de son verre). T’étais plié en deux de rire.
George (conciliant). C’est ça, c’est ça…, c’était très drôle.
Martha. C’était à mourir de rire…
George (toujours conciliant). C’est ça, c’est ça… C’était très drôle.
Martha (un temps). Elle le regarde avec attention. George ? (Il lève les yeux.) Tu me donnes envie de dégueuler.
George. Pardon ? »
Extrait 2 :
« Martha. Pauvre petit Jojo, mon pauvre petit Jojo chéri ! (Comment il boude) Ohhhhhhhhh… qu’est-ce qu’il fait ?
Il boude ? Hein ? Fais voir…
Tu boudes ? C’est ça ?
George (à voix basse). Laisse tomber, Martha…
Martha. Ohhhhhhhhh…
George. Tu te fatigues pour rien…
Martha. Ohhhhhhhhh… (Comme il ne réagit pas.) Hey ! (Il ne réagit pas.) Hey ! (George la regarde, dominé.) Hey. (Elle chante.)
Qui a peur de Virgina Woolf,
Virgina Woolf,
Virgina Woolf
Qui a peur de Virgina Woolf…
Ha, ha, ha, ha HA ! (Il ne réagit pas.) Hein ?… C’était drôle ? Non ? (Elle le défie.) Moi, j’ai trouvé ça tordant… à pisser de rire.
Toi, tu n’as pas aimé ?
George. Si, c’était bien…
Martha. Tu hurlais de rire quand tu l’as entendu la première fois.
George. J’ai souri. Je n’ai pas hurlé de rire… J’ai souri, c’est tout… C’était drôle.
Martha (examinant le fond de son verre). Tu as ri comme un malade.
George. C’était drôle…
Martha (qui se fâche). C’était à pisser de rire !
George (patiemment). C’était très drôle ; c’est vrai.
Martha (après mûre réflexion). Tu me fais gerber !
George. Quoi ?
Martha. Hé… tu me fais gerber ! »
De la romancière Woolf, au canis lupus, le loup, soit wolf, en anglais, les termes sont proches, voire sonnent de la même façon. En linguistique, l’homophonie désigne deux mots différents, mais possédant la même prononciation. Dans la littérature anglo-saxonne, chez Edward Lear, Lewis Carroll, ou encore James Joyce, les trouvailles homophoniques et autres vers holorimes sont légions, au grand dam des traducteurs… Cet humour fondé sur l’absurde (ou le nonsense) est très prisé en Angleterre ! Le jeu de mot inventé par George, rappelé par Martha, mais que celui-ci ne trouve plus si drôle, renvoie ainsi à l’atavique peur du loup.
Qui craint le grand méchant loup ? C’est p’t’être vous ?
Dans son ouvrage La peur du loup, paru dans la collection « Découvertes Gallimard », Geneviève Carbone note (p. 13) que la peur, celle qui accuse le loup, « qu’il soit coupable ou non, hante les mémoires, se nourrit de rumeurs et meuble les veillées de longs récits d’horreur. Cette peur se raconte dans la représentation d’un loup mangeur d’homme, grand dévoreur de femmes, d’enfants et de cadavre, quittant sa retraite, par temps de guerre, de famine, de misère, affamé, furieux ou enragé, pour menacer la sécurité de tous, jusqu’aux portes des villes. »
Dans les nouveaux contes, comme pour conjurer cette image horrifique, les récits populaires en viennent à mettre en scène un grand méchant loup, dont la férocité n’a d’égale que la bêtise ! Là, inversion des rôles, les petits cochons finissent par mettre le loup en fuite ! L’air conseillé dans la pièce de théâtre, chantonné tour à tour par Martha et George, reste Qui a peur du grand méchant loup ? Tiré du dessin animé de Walt Disney, Les trois petits cochons, datant de 1933, on se souvient de l’entêtant refrain.
Virginia Woolf faisait-elle peur ?
Les circonstances de la disparition de Virginia Woolf restent effroyables : elle se noie dans la rivière Ouse, non loin de sa maison de Rodmell (Sussex), le 28 mars 1941, après avoir lesté ses poches de lourdes pierres. Pour autant, au-delà de troubles dépressifs qui ont durement affecté sa vie, sa santé, la romancière britannique faisait-elle peur ? Nullement !
Pour s’en convaincre, jetons un œil sur les photographies de Gisèle Freund que conserve le Centre Georges Pompidou, notamment Virginia Woolf devant la fresque de Vanessa Bell, inv. AM 1992-171, ou Virginia Woolf avec son chien, inv. AM 1992-170, ou encore le très beau portrait, simplement intitulé, Virginia Woolf, inv. AM 1992-172. Dans l’ouvrage, Gisèle Freund, portrait, la photographe portraitiste interviewée par Rauda Jamis, note précisément, à propos de la dernière des trois photographie précédemment évoquées, p. 140 :
« Rauda Jamis. À la fin de l’introduction de votre livre Itinéraires, vous écrivez : “Il arrive des cas exceptionnels où le photographe réussit à créer une image qui dépasse le simple document par son contenu et sa forme.”
Gisèle Freud. L’illustration de cette phrase est par exemple la photo de Virginia Woolf de profil. Je pense avoir réussi à capter là une image exceptionnelle. Quelle chance d’avoir vu cela : ce moment bref, fulgurant, où Virginia s’est perdue. Cette photo dit tout sur elle. Croyez-moi, il n’arrive pas souvent de pouvoir saisir un tel instant. J’aime beaucoup les êtres humains, hommes ou femmes. J’ai toujours essayé de faire ressortir, par mon travail, ce qu’il y avait de bon en eux. Mais cette photo, je crois que c’est la meilleure qu’il m’ait été donné de faire. »
Edward Albee était-il hanté par Woolf ?
Autre question intéressante, Edward Albee était-il hanté par Woolf ? Ce n’est pas impossible. Sur cette question, l’ouvrage Fantômes d’écrivains, dirigé par Anne Chamayou et Nathalie Solomon, décline le thème de l’intertextualité à travers l’image du fantôme, de la figure obsédante. Il explore les phénomènes d’influence d’un auteur sur un autre, et le rôle joué dans la création littéraire :
« Par quoi les écrivains sont-ils habités ? Souvent par d’autres écrivains. Pas seulement parce qu’ils s’influencent, ou s’inspirent les uns les autres, mais parce que parfois, ils écrivent à l’ombre de l’œuvre d’un autre, à la lumière du rayonnement laissé par un confrère célèbre, vivant ou mort, qu’ils admirent, qu’ils fuient, qui les enrichit ou les entrave. Ils écrivent alors en contrepoint de l’œuvre d’un autre, en dialogue ou en résistance. Ils sont travaillés par la présence d’un aîné ou d’un contemporain, qui est pour eux, une autorité à honorer, à dépasser, à combattre. Ce rapport à l’écrivain est une occasion de fécondité, de rivalité, au pire un véritable empêchement. Dans tous les cas, cette intime obsession, cette hantise les oblige à trouver leur propre voix, chercher leur propre espace et plus largement, décider du sens qu’ils donnent à leur propre quête. Ces fantômes d’écrivains sont donc bien ce qui hante leur création : ils la visitent et l’inquiètent, la rendent plus vivante, plus personnelle, la forcent à affirmer ses contours, fût-ce dans la destruction de cette figure intérieure qu’elle porte en elle, et que tout à la fois elle enfouit et exhibe. Il s’agissait donc de traquer les fantômes, dont est peuplée la littérature… Les articles de ce recueil explorent divers cas de relation intime entre un écrivain et un autre, diverses conditions singulières de création “hantée”. »
Dans son article « Qui a peur du fantôme de Virginia Woolf ? Les Heures de Michael Cunningham », dans Fantômes d’écrivains, Roger Bastrios analyse comment Les Heures de Michael Cunningham se place tout entier sous la figure tutélaire de Virginia Woolf sans pour autant se réduire à un jeu de pistes pour amateurs d’intertextualité.
« Les tunnels creusés par Virginia Woolf tissent alors une toile bien plus vaste ; ils relient les personnages aux vivants et leur rappellent qu’ils appartiennent aux “heures”, c’est-à-dire au royaume des morts. Cunningham insiste sur cette capacité à communier avec l’invisible, cette “faculté interne à reconnaître les mystères mouvants de l’univers”, ce que Virginia appelle l’âme du monde à défaut de pouvoir la nommer autrement. Mais ce pouvoir qui est une sorte de grâce, désincarne celui qui le détient. La “Clarissa” de Cunningham “sent la présence de son propre fantôme, la part d’elle même la plus rémanente et la moins distincte, la part qui ne possède rien, qui observe avec émerveillement et détachement…”. Mrs Brown “n’est personne, n’est plus rien ; on dirait qu’elle a glissé hors de sa vie”. Elle éprouve la sensation que son propre fantôme, une deuxième version d’elle-même est en train de l’observer dans son dos. Quant à Richard, il imagine les personnes autour de lui “comme des personnages de fiction, dotés d’aptitudes presque illimités pour la tragédie et la comédie”. »
Pour aller plus loin, se référer à l’article de Frédéric Vitoux, « Qui a peur Michael Cunningham », dans Le Nouvel Observateur, 16-22 septembre 1999, p. 123.
Qui a peur de vivre une vie sans illusions ?
Uniquement par le langage, la violence ou la souffrance que les mots portent en eux, Edward Albee nous parle finalement d’une déchirure, celle d’un couple d’intellectuels qui après une nuit de beuverie tuent symboliquement l’enfant qu’ils n’ont pas eu. Cet enfant, Jimmy, bien qu’imaginaire, existe bel et bien entre eux, dans leur cœur, dans leur esprit, comme une illusion tenace. Albee a donc expliqué que le titre pouvait être interprété par la question suivante : « Qui a peur de vivre une vie san illusions ? ».
Dans son article « Qui a peur de Virginia Woolf ? », Le Monde, 18 février 1967, Jacques de Baroncelli explicite cette interprétation :
« Dégradation des corps, mais surtout dégradation des cœurs, des âmes, des sentiments. Qui a peur de Virginia Woolf ? est beaucoup plus que la relation d’une monstrueuse scène de ménage. Albee ne décrit pas une crise, mais un état de fait. Si cet homme et cette femme, mariés depuis vingt ans, transforment si complaisamment leur foyer en enfer, c’est qu’ils ont besoin de cet enfer pour vivre ou pour survivre. C’est que cet enfer leur paraît préférable à la mort. L’insulte, l’invective, l’imprécation, l’outrage, constituent pour eux le dernier langage qui leur permette encore de correspondre. Ils se détruisent pour se prouver qu’ils existent, qu’un lien, fût-ce celui du mépris et de la haine, continue d’exister entre eux. C’est pourquoi sans doute ils ont tendance, comme on dit, à forcer la dose. C’est pourquoi dans cette comédie qu’ils se jouent (et qu’ils jouent avec plus de délectation encore devant des tiers), comédie truffée de quiproquos voulus et de coups de théâtre savamment calculés, le mensonge a exactement la même valeur que la vérité. Tout est bon à Martha et à George, et même la mort d’un enfant imaginaire, pour rester, un jour de plus, une nuit de plus, accrochés l’un à l’autre. »
Comme le note Liliane Kerjan dans l’ouvrage Le théâtre d’Edward Albee, aux Éditions Klincksieck, 1978, p. 243, se rejoue dans la pièce (ou le film), cette nuit-là plus qu’une autre, une habituelle scène de ménage entre George et Martha, mais cette fois, au-delà de toutes règles ou cadre préétablis, jusqu’à un véritable exorcisme de leur couple :
« Le propre des rites d’exorcisme primitifs ou moderne est de résoudre les tension qui s’accumulent ; […] chez George et Martha, il y a conflit dramatique entre le désir de conserver une sécurité certaine, et la volonté de détruire les illusions et de recommencer. La cérémonie primitive commence par une célébration de la vie à travers sa re-création — et c’est pourquoi ses pseudo-parents évoquent la gestation et la naissance de Jimmy — puis, après une descente dans la conscience, elle implique un changement d’identité. Le théâtre transpose ces expériences de possession et d’exorcisme : George et Martha, comme les nègres de Genet, structurent leur existence en inventant des jeux à partir de leur aliénation. Parce qu’il s’agit d’un jeu, ils sont libres d’inventer les règles et les rivaux, et ils gagneront toujours : dans un premier temps, Martha vaincra George, puis George et Martha vaincront Nick et Honey. Le jeu prend la forme d’un rite où ils se laissent posséder par leurs illusions réunies dans Jimmy, pour ensuite exorciser cette possession. La possession est magique, imaginative ; c’est la raison pour laquelle ils chantent, dansent, blasphèment ou accomplissent des actes défendus, attitudes que l’on retrouve notamment dans les cérémonies vaudou dont le but est identique : parvenir à une dissolution de la personnalité, suivie d’une réintégration. Mais l’expérience rituelle ne peut se juger qu’à l’efficacité, qu’à son pouvoir de détruire les identités que George et Martha créent — ou que nous-mêmes créons —, avec tant de peine. »
L’adaptation aux 5 oscars de Mike Nichols
Fidèle adaptation de la pièce de théâtre, le synopsis du film (sans surprise) reste et demeure : Martha, fille du doyen de l’Université, et son mari George, professeur d’histoire, rentrent légèrement éméchés d’une réception. À la demande de son père, Martha s’est vue contrainte à inviter un jeune couple, récemment emménagé, à les rejoindre pour boire un dernier verre. Mais à leur arrivée, Nick, professeur de biologie, et son épouse Honey trouvent leurs hôtes en pleine dispute. Ce qui aurait dû être une soirée sympathique entre amis va dégénérer en règlement de comptes généralisé. La nuit s’annonce longue et agitée…
Pour revoir le film, rien de mieux que sa version numérique restaurée, datant de 2007, Qui a peur de Virginia Woolf ? = Who’s affraid of Virginia Woolf?, diffusée par Warner Bros, dont voici la bande-annonce :
Sur le site Calindex.eu, agrégant les indexations d’une trentaine de revues francophones sur le cinéma, à l’entrée « Qui a peur de Virginia Woolf ? », ressortent notamment les articles suivants :
- Cinéma. Le guide du spectateur, vol. 114, mars 1967, page 110, critique, article sur un film. Auteur : Clouzot Claire.
- La Revue du Cinéma : Image et son, vol. 202, février 1967, page 108, critique, article sur un film. Auteur : Zarmatti Elio.
- La Revue du Cinéma : Image et son, saison 67, septembre 1967, page 162, fiche Saison cinématographique. Auteur : Tabès René.
- Jeune Cinéma, vol. 22, avril 1967, page 39, critique, article sur un film. Auteur : Prédal René.
- Positif : revue mensuelle de cinéma, vol. 85, juin 1967, page 63, de A à Z. Auteur : Ciment Michel.
En couple à la ville comme à l’écran, les deux acteurs Elizabeth Taylor et Richard Burton, se disputent la vedette du film, au point que l’adaptation de Nichols, marquera un sommet de leur carrière !
Pour ce qui est de la bande originale du film, par le compositeur Alex North, datant de 1966, soit 11 titres originaux, deux mots la résument : chagrin et regrets. Dès les premières images (Moon Music & Main Title), avec le thème joué à la guitare, le ton est donné. La BO, par sa composition mélancolique, anticipe la malice réprimée, l’amertume et le bouleversement émotionnel causés par les effets brutaux de l’alcoolisme qui se déploient à l’écran. North utilise l’ambivalence du texte d’Albee comme un chanteur utilise les paroles d’une chanson. À la fin du film, le monologue de Martha, dans lequel le personnage fait le bilan de sa triste vie avec George, est ponctué d’un mot leitmotiv (Sad, Sad, Sad) douloureusement souligné notamment les violons.
Voici cette scène finale dans la récente traduction de Qui a peur de Virginia Woolf ?, par Pierre Laville, éditée chez Actes Sud (1996), p. 143 :
« George. Il est tard.
Martha. Oui.
George (après un long silence). Ce sera mieux comme ça.
Martha (après un long silence). Je ne… sais pas.
George. Ce sera mieux… peut-être.
Martha. Je… n’en suis pas… sûre.
George. Non.
Martha. Rien que… nous deux ?
George. Oui.
Martha. J’imagine qu’il ne doit pas être possible de le…
George. Non Martha.
Martha. Oui. Non.
George. Ça va ?
Martha. Oui. Non.
George (posant gentiment sa main sur l’épaule de Martha ; elle renverse sa tête en arrière vers lui, et tandis qu’il chante très doucement).
Qui a peur de Virgina Woolf,
Virgina Woolf,
Virgina Woolf
Martha. Moi… George…
George. Qui a peur de Virgina Woolf…?
Martha. Moi… George… moi…
(George approuve d’un long mouvement de tête).
Silence.
Noir. »
Toujours concernant la scène finale, Claire Clouzot indique dans son article « Qui a peur de Virginia Woolf ? Les lions sont lâches » (Cinéma. Le guide du spectateur, vol. 114, mars 1967, p. 110), que :
« Dans le sale petit jour qui se lève, de ces aubes pâteuses qu’on ne veut pas qui viennent, un visage de femme, moitié levé, cherche dans un rai de lumière une possibilité de survie. Elle est marquée, pochetée, imbibée, harassée, elle n’attend ni le recommencement ni le baume oublieur. Elle accepte. Elle est bien au-delà d’ailleurs, à la fois lucide et inconsciente, dans la région inhabitée qu’on appelle l’âge, dans l’aquarium où elle a tourné des siècles en rond et qu’on appelle la vie conjugale, dans l’enfer qu’elle crée et que son compagnon crée et qu’on appelle la solitude à deux. Et quand la main de l’homme qui l’accompagne et qui la tiendra jusqu’à la mort, se pose sur son épaule, c’est deux mille ans de joies et de souffrances à deux qui se nouent et qui s’ancrent pour qu’au moins, lorsque la fin du monde arrive, on ait quelque chose de chaud à quoi se raccrocher. “Qui a peur de Virginia Woolf ?”, chante George. “J’ai peur, George, j’ai peur…”, dit Martha. La caméra s’avance sur Martha dans un lent travelling. Deux mains en très gros plan se cherchent, s’entrouvrent, se touchent à peine… Ce n’est pas une reddition ; c’est plus que la trêve et la pose des armes, mieux qu’une réconciliation. Cela signifie quelque chose comme la rédemption d’un homme et d’une femme par un amour écorché de tous ses mensonges, exorcisé. Tel un oignon, il a été pelé peau par peau, gratté couche par couche au cours de la guerre totale que se sont déclarée devant nos yeux deux êtres enchaînés par on ne sait quelle erreur, quel choix monstrueux, quelle fatalité. »
Fortune critique d’un titre
J’avais peur de Virginia Woolf, par Richard Kennedy, chez Anatolia – Libella, roman paru en 2007 :
Résumé :
« Imaginez un peu que votre premier emploi soit celui de grouillot de Virginia Woolf. Nous sommes en 1926, à Londres, et Richard Kennedy, naïf adolescent de seize ans, doué pour le dessin, est mis en apprentissage dans la maison d’édition Hogarth Press, dont les patrons sont les redoutables, mais fascinants Leonard et Virginia Woolf. Commencent alors de savoureuses mésaventures : Richard s’essaie à l’amour avec les femmes dissolues de la capitale (à seize ans !), s’efforce d’installer dans l’imprimerie une étagère qui ne tombera pas sur l’irascible Leonard (elle choit lamentablement) et se hasarde à prendre une décision importante concernant l’impression d’un des livres de Mrs Woolf (décision mal pensée, qui déclenchera une crise de nerfs chez son méthodique patron). Tout au long de cette joyeuse rétrospective, Kennedy nous offre un rare aperçu de l’univers de Bloomsbury, vu depuis l’entrée de service. Ce charmant récit sur le passage à l’âge adulte saisit au vol un moment béni de l’histoire de la littérature anglaise, certes, mais mieux encore, il capture cet instant magique dans la vie de tout adolescent, celui où il apprend soudain qu’un vaste monde est là, qui l’attend, et qu’en dépit des bévues qu’il pourra commettre, ce monde est accueillant et plein de promesses. »
Qui fait peur à Virginia Woolf ? …élémentaire cher Lupin !, par Gabriel Thoveron, chez la Renaissance du Livre (Bruxelles), roman paru en 2006 :
Résumé :
« Des lettres anonymes sous forme d’énigmes, un enlèvement, la menace d’un groupe terroriste international, et un trésor anglais caché en France, voilà bien matière pour une romancière britannique… Sauf qu’en quittant un dîner en ville en compagnie de son amie Vita Sackville-West, Virginia Woolf est loin d’imaginer qu’elle va elle-même prendre part à une intrigue policière aux multiples rebondissements où, de Londres à la Normandie, elle côtoiera les figures de Sherlock Holmes et d’Arsène Lupin. À travers ce divertissement littéraire, Gabriel Thoveron a construit un véritable jeu de cache-cache, où le vrai s’amalgame au faux (ou peut-être l’inverse). Et quand les frontières de la fiction sont ainsi dépassées, il est difficile de savoir où se dissimule la vérité. Même (surtout) pour une romancière de métier. »
Entre chiens et Woolf. Une affaire de femmes, par Mireille Duchêne, essai paru aux Presses universitaires de Dijon, en 2020 :
Résumé :
« Entre chien et loup, c’est le moment de la journée hésitant entre les dernières lueurs du soir et la tombée de la nuit, celui où l’on ne peut distinguer un animal domestique d’une bête sauvage. Entre les chiens et Woolf (1882-1941), s’est tissée une relation singulière. Quelle place l’espèce canine occupe-t-elle dans le quotidien et l’imaginaire de Virginia Woolf ?Petite fille, elle prend conscience que les chiens lui offrent la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et, plus encore, avec sa mère. Devenue orpheline, elle suit le chemin de la liberté qu’ils tracent devant elle. Adulte, elle découvre l’amour de femmes puissantes, comme Violet Dickinson, Vita Sackville-West ou Ethel Smyth, toutes maîtresses de chow-chow, lévrier et autres chiens de berger. Dans l’œuvre woolfienne, celui que l’on dit le meilleur ami de l’homme est très présent. Dès 1905, Shag, le fidèle compagnon, passe à la postérité : Virginia lui consacre dans The Guardian un de ses premiers articles, traduit ici en français pour la première fois. L’objet du présent essai – une biographie revisitée – est de montrer qu’entre les chiens et Virginia Woolf, ce fut aussi et avant tout une affaire de femmes. »