Quelles sont les principales œuvres littéraires abordant la honte ?

Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 01/02/2021.

Femme qui se cache les yeux avec les mains
Image par Gerd Altmann de Pixabay

Dans les Sources de la honte (1996), Vincent de Gaulejac distingue différentes formes de honte :
la honte corporelle, la honte sexuelle, la honte psychique, la honte morale, la honte sociale, la honte ontologique : cette dernière marque les situations dans lesquelles le sujet est confronté à l’inhumain comme spectateur, acteur ou victime.

Mais comment cette émotion si polymorphe et complexe est-elle traitée en littérature ?
Zoom sur plusieurs exemples d’œuvres littéraires traitant de la honte.

La honte dans l’œuvre d’Annie Ernaux

Dire l’indicible : trauma et honte chez Annie Ernaux par Barbara Havercroft, Roman 20-50, (n° 40), 2005.
Extrait :
Bon nombre de pages sont consacrées à l’exposition des moeurs et des croyances religieuses de l’enfance vécue dans cette petite ville, avec un accent mis sur les effets de la pauvreté sur la vie de sa famille. En ce sens, La Honte fait partie de ce qu’Ernaux nomme la « seconde période » de son œuvre, celle où ses textes « sont moins autobiographiques que [sic] auto-socio-biographiques, […] des “explorations” où il s’agit […] de perdre [le “moi”] dans une réalité plus vaste, une culture, une condition, une douleur » 

La honte est une émotion qui traverse une grande partie de l’œuvre d’Annie Ernaux. C’est le cas au sein de son roman intitulé La Honte, paru en 2012 (revenant sur la tentative de meurtre de la mère d’Annie Ernaux par son père), par exemple, mais aussi dans L’Événement, publié en 2000 (sur un avortement) ou dans La Place, en 1984 (évoquant le parcours de transfuge de classe – pour utiliser un terme récemment apparu – de l’autrice).

Entretien : Rencontre avec Annie Ernaux, à l’occasion de la parution de L’Événement en mars 2000 par les Éditions Gallimard.fr
Extrait :
L’événement que je raconte ici est un avortement — à l’époque forcément clandestin — qui a eu lieu en janvier 1964.
Ce souvenir-là ne m’a jamais quitté. Il représente dans ma vie, comme, je crois, dans celle de nombreuses femmes, que ce soit avant ou après la loi Veil de 1975, un événement au vrai sens du terme, c’est-à-dire quelque chose qui arrive et vous transforme. Cela dit, on peut très bien l’occulter par la suite, ce qui a été mon cas. Ce type d’événement féminin par excellence, qui concerne la vie, comme l’accouchement, est d’ailleurs de nouveau occulté, comme si le discours médical empêchait les femmes de se penser et de se dire.


Interview d’ Annie Ernaux :

Annie Ernaux présente son livre la Place consacré au personnage de son père.
Avec les interventions de Georges Emmanuel CLANCIER et d’Alain BOSQUET à propos du style d’Annie ERNAUX. Images d’archives INA (Institut National de l’Audiovisuel).


La honte dans l’œuvre de Marguerite Duras

L’Amant et Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras constituent un récit sur la désillusion des années passées par l’autrice en Indochine, évoquant de manière assez directe la honte éprouvée à l’égard de sa famille, notamment de sa mère.

En 1984, Marguerite Duras confiait à Bernard Pivot les sentiments contrastés que lui inspiraient cette mère originale, veuve d’un fonctionnaire dans l’Indochine coloniale des années 1930 : « le paradis d’une mère qui était tout à la fois, le malheur, l’amour, l’injustice, l’horreur, et qui, à cause de ses vêtements pauvres et ridicules lui faisait souvent honte. » 




La honte en temps de guerre

La honte ressentie lors des épreuves traversées par certains écrivains durant la seconde guerre mondiale forme également un riche corpus de textes.
Si c’est un homme
Primo Lévi, Robert Laffont, 2017.

Le Temps des prodiges
Aharon Appelfeld, Points, 2004.
« Depuis quelque temps, mon père et ma mère ont un comportement étrange… Pourquoi prononcer avec autant de honte et de fierté mélangées le mot « juif » ? Pourquoi mon père, écrivain autrichien renommé, est-il soudain qualifié de parasite ? Imperceptiblement, mais sûrement, le monde est en train de changer…»


La honte des origines sociales

La honte des origines sociales a fait l’objet de très beaux textes comme :
La Bâtarde
Violette Leduc, Paris, Gallimard, 1996.
Résumé :
« Roman autobiographique dans lequel l’auteur tente de reconstituer et d’offrir au lecteur sa propre histoire et une image plausible d’elle-même. La « bâtarde », c’est cette jeune fille humble et modeste, à la sensibilité exacerbée, qui se livre à des amours homosexuelles avec Isabelle, puis avec Hermine. »

Retour à Reims
Didier Eribon, Paris, Fayard, 2009.
Résumé :
« De retour à Reims, sa ville natale, D. Eribon se replonge dans son enfance et son adolescence, se redécouvre fils d’ouvrier alors qu’il s’était toujours envisagé comme un enfant gay, et reconstitue le milieu ouvrier dans lequel il a grandi. Il analyse son parcours et le rôle qu’a joué son homosexualité, élaborant une théorie du sujet qui permet de penser la multiplicité de nos expériences. »

Ou encore L’histoire de Bone et Retour à Cayro de Dorothy Allison…


Honte et sexualité en littérature

Enfin, la honte du désir sexuel :
Confession d’un masque
Yukio Mishima, Paris, Gallimard, 1983.
Résumé :
« Dans le Japon des années 1930 et 1940, au milieu de désastres sans précédent, Kochan lutte contre ses pulsions. À l’école, la fascination qu’il éprouve pour un jeune camarade se mue en attirance sexuelle. Comment être homosexuel dans une société conformiste ? Kochan devra-t-il renoncer à lui-même et porter un masque toute sa vie ? »


Pour aller plus loin…

La honte ; réflexions sur la littérature de Jean-Pierre Martin, émission Deux minutes papillon, France Culture, par Géraldine Mosna-Savoye, le 20/02/2017.
Extrait :
(…) la liste est longue, au point que l’on en vient à se demander si la honte ne serait pas en fait le ressort même de la littérature, ce qui prend corps dans un seul individu pour être exposé à tous, le ressort ou peut-être la solution même : puisque l’écriture, pour le coup, s’exhibe volontairement et a de quoi mettre un point final à la honte d’être ce que l’on est.


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