Bibliothèque de l’Institut du monde arabe – notre réponse du 01/02/2021.
Dix ans après les manifestations massives qui avaient embrasé la région en 2011, le bilan du “Printemps arabe” semble plutôt amer. Et pourtant, la seconde vague révolutionnaire qui a eu lieu en 2019 montre que la contestation sociale est toujours là. Le phénomène du “Printemps arabe” pourrait être le reflet de mutations profondes toujours en cours dont le véritable impact se révèlera sur une échelle de temps bien plus longue.
Voici quelques éléments de réponse assortis d’une petite sélection de références choisies parmi la documentation très abondante.
Le sombre bilan démocratique des révolutions arabes
Si le Printemps arabe a suscité d’immenses espoirs de renouveau, conduisant, rappelons-le, à faire tomber pas moins de quatre chefs d’État en 2011 (Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte, Kadhafi en Libye et Saleh au Yémen), dix ans après, la désillusion a pris le pas.
À l’exception de la Tunisie qui, seule, a amorcé une réelle transition démocratique, tous les pays qui s’étaient soulevés en 2011 ont soit régressé vers un régime plus autoritaire (Égypte, Bahreïn), soit basculé dans une guerre civile meurtrière (Syrie, Libye, Yémen).
Un constat sans appel que résume le témoignage de la romancière syrienne Samar Yazbek :
Extrait : « J’ai toujours des rêves, mais plus d’illusions. C’est un fait, tous les pays du Printemps arabe, à l’exception de la Tunisie, sont sortis de ces révolutions fracassés et soumis aux intérêts de puissances occidentales qui se partagent leurs richesses. Quant à nous, les femmes, nous avons perdu les privilèges pour lesquels nous nous sommes battues pendant des années. Nous n’avons pas perdu espoir, cependant. Je me dis : Toutes les révolutions du monde sont passées par des guerres civiles. À présent il faut préparer le terrain pour construire un avenir démocratique. »
Cette petite braise par Samar Yazbek, Printemps arabes : la révolution confisquée, Journal Le Un, janvier 2021 (n° 328).
En Tunisie, une transition encore incertaine, voire en crise
En Tunisie, si les avancées sont indéniables sur le plan de la vie démocratique et intellectuelle (adoption d’une nouvelle constitution et d’un régime parlementaire, élections libres, multipartisme, liberté d’expression), les raisons économiques qui avaient poussé les Tunisiens dans la rue: précarité, pauvreté, chômage…, sont toujours là et se sont même accrues. De nouvelles manifestations ont ainsi éclaté en 2018 et se poursuivent épisodiquement, jusqu’à aujourd’hui. Présenté comme l’exemple d’une transition politique réussie, le pays, rattrapé par les ratés de ses réformes économiques, reste plongé dans la crise.
À écouter
Dans l’émission suivante sur France Culture, l’intellectuel tunisien Yadh Ben Achour, récemment élu professeur au Collège de France et Hamadi Redissi reviennent sur ce bilan mitigé et sur les avancées et blocages de la “révolution du Jasmin”.
À lire
Tunisie, l’apprentissage de la démocratie (2011-2021) par Khadija Mohsen-Finan, Nouveau Monde éditions, 2021 : un essai de synthèse sur la transition tunisienne
Une contre-révolution d’une rare brutalité
Pour comprendre comment les efforts de démocratisation ont tourné court dans les autres pays, particulièrement en Égypte, en Syrie et au Yémen, se heurtant à des régimes fortement militarisés qui tirent argument de la menace djihadiste pour réprimer violemment toute forme d’opposition intérieure, nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu :
Généraux, gangsters et jihadistes : histoire de la contre-révolution arabe
Jean-Pierre Filiu, La Découverte, 2018
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Extrait :
« L’épouvantail islamiste était agité pour mieux justifier une contre-révolution débridée et refermer au plus tôt la parenthèse démocratique. Le monde semblait prêt à sacrifier les droits des peuples arabes sur l’autel de la stabilité de la région à tous égards stratégique. »
Brève présentation vidéo par l’auteur.
Un autre ouvrage fait le point sur la situation des régimes autoritaires en Afrique du Nord :
L’Afrique du Nord après les révoltes arabes
Luis Martinez, Presses de Sciences Po, 2018.
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Chaos, guerres et nouveaux équilibres géopolitiques
Prolongement le plus tragique des printemps arabes, la Syrie, la Libye et le Yémen ont sombré dans des guerres civiles où l’intervention de puissances étrangères, sur fond de poussée djihadiste et de désengagement américain, a bouleversé les équilibres géopolitiques de la région.
Un article consacré à la dimension internationale du Printemps arabe qui récapitule de manière synthétique les différents acteurs régionaux engagés dans les guerres en Libye, en Syrie et au Yémen, ainsi que les coûts humains et matériels considérables :
Le Printemps arabe, un événement global par Bahgat Korany, article paru dans le dernier volume d’Araborama, Il était une fois… les révolutions arabes, Seuil/Institut du monde arabe, 2021, p. 15-28
L’auteur interprète notamment ces guerres issues du Printemps arabe comme le prototype de “guerres nouvelles”, ce nouveau type de conflits internationalisés, chaotiques et sans fin, qui se traduisent souvent par un effondrement total de l’État sur le plan intérieur et d’importants flux de réfugiés à l’international.
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Géopolitique comparée des révolutions et des contre-révolutions arabes
par Pierre Blanc, dans Confluences Méditerranée, 2020/4 (n° 115), p. 9-23
Un printemps toujours en cours ?
La relance protestataire de 2019
Malgré les désillusions, la seconde vague de mobilisation qui a eu lieu en 2019, balayant quatre nouveaux pays, l’Algérie, le Soudan, le Liban et l’Irak, a montré que l’aspiration populaire à des changements radicaux est toujours bien présente. Non sans que certaines leçons n’aient été tirées de la décennie passée, par les régimes et les oppositions.
À lire en ligne
De l’Algérie au Soudan, les répliques du « printemps arabe » : limites du “dégagisme”, mutations de l’autoritarisme
par Hicham Alaoui, Le Monde diplomatique, mars 2020.
Extrait : « L’agitation actuelle en Algérie, en Égypte, en Irak, en Jordanie, au Liban et au Soudan apparaît comme l’amplification logique du « printemps arabe ». Elle prouve une nouvelle fois que les sociétés concernées, toujours confrontées à l’injustice économique et politique, refusent de capituler. Bien sûr, leurs adversaires — les régimes autoritaires — demeurent également déterminés à garder le pouvoir ; ils tentent de s’adapter à la contestation pour survivre. »
Mesurer l’impact sur le temps long
Un certain nombre de chercheurs mettent l’accent sur la nécessité d’inscrire les révolutions arabes dans le temps long, soulignant le fait que les mutations structurelles d’une société se mesurent sur une échelle supérieure à dix ans et qu’il faut parfois plusieurs décennies avant de voir une révolution produire ses effets.
À lire en ligne
Un processus révolutionnaire au long cours : le Soudan et l’Algérie reprennent-ils le flambeau du « printemps arabe » ? par Gilbert Achcar, Le Monde diplomatique, juin 2019 [consulté le 31/01/2021]
Extrait : Ce qui se trouve pleinement confirmé, en revanche, c’est le fait que l’explosion de 2011 n’était que la première phase d’un processus révolutionnaire de longue durée. Dans cette optique, l’appellation « printemps arabe » pouvait être retenue à condition de l’entendre non comme une phase de transition démocratique de courte durée et relativement paisible, comme beaucoup l’espéraient en 2011, mais comme le premier moment d’un enchaînement de « saisons » destiné à durer plusieurs années, voire plusieurs décennies.
À lire en version papier
Pour une vision globale des grandes mutations politiques et sociales en cours dans les pays arabes depuis le printemps arabe :
Introduction aux mondes arabes en (r)évolution
Assia Boutaleb, Marie Vannetzel, Amin Allal, De Boeck supérieur, 2018.
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
L’esprit de la révolte : archives et actualité des révolutions arabes Leyla Dakhli, Seuil, 2020 : une analyse historique des révolutions arabes qui retrace leur généalogie bien avant 2011.
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Féminismes arabes et mouvements LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres)
Depuis le printemps arabe et la participation massive des femmes aux manifestations de 2011, les mouvements féministes arabes ont aussi gagné en intensité. Autre signal d’une société qui bouge en profondeur, des associations de lutte pour les droits des minorités sexuelles (Kifkif et Aswat au Maroc, Helm au Liban, Chams en Tunisie) sortent peu à peu de l’ombre malgré la répression et une législation qui condamne l’homosexualité.
À lire en version papier
Deux contributions du dernier volume de la collection Araborama, déjà citée plus haut :
Oser rêver : portraits de féministes égyptiennes
Salma El-Naqqash et Tarek Moustafa Abdel-Salem, p. 231-238
Le noir est la couleur de l’espoir (la révolution des LGBTQ+ arabes est toujours en cours)
Abdellah Taïa, p. 161-165
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
La mémoire artistique du printemps arabe
C’est là un autre effet du printemps arabe, l’apparition de nouveaux types de dissidence par l’humour et la création artistique. Des œuvres, parfois éphémères et qui circulent souvent sur les réseaux sociaux.
En ligne
Voici deux sites qui tentent d’archiver cet héritage artistique et culturel né des révolutions syrienne et égyptienne :
Mémoire créative de la révolution syrienne
Politics, Popular Culture and the 2011 Egyptian Revolution
À lire en version papier
Street art in the Middle East
par Sabrina DeTurk, I. B. Tauris, 2019
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Pour aller plus loin…
À l’occasion du 10ème anniversaire du Printemps arabe, nombre de publications périodiques ont consacré un numéro thématique spécial sur le sujet dont voici une petite sélection :
Il était une fois… les révolutions arabes, Seuil/Institut du monde arabe, janvier 2021
Disponible à la bibliothèque de l’IMA
Les « Printemps arabes », dix ans après, Cahier du Monde, n° 23647, 17 et 18/01/2021
Lien vers la version en ligne
Printemps arabes : la révolution confisquée, Journal Le Un, n° 328, 06/01/2021
Révolutions et contre-révolutions dans le monde arabe, Confluences Méditerranée, n° 115, 2020
À écouter
Sur le site de France Culture, ce cycle d’émissions sur le Printemps arabe, dix ans après…qui offre un bon tableau d’ensemble des différentes trajectoires politiques :
Épisode 1 : Tunisie : sur le chemin de la démocratie
Épisode 2 : De l’ Égypte au Soudan : l’armée aux manettes
Épisode 3 : De la Syrie à la Libye : guerres civiles sous influence étrangère
Épisode 4 : Irak : Dépasser les confessionnalismes