Quand le noir s’est-il généralisé comme couleur du deuil ?
Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée du 02/10/2022.
Associé à l’absence de lumière, et bien sûr symbole du deuil en France, l’usage de la couleur la plus sombre est le fruit d’une longue histoire, dépendante des contextes historico-religieux.
Retour sur l’origine de cette symbolique a priori sinistre.
Adoption progressive de la couleur noire
Même si le noir et ses variantes ont une connotation funéraire depuis l’Antiquité au moins, il faut attendre la fin du Moyen Âge, voire le début de l’époque moderne, pour que le noir soit élu couleur du deuil.
Vous pouvez ainsi lire l’interview de Denis Bruna, professeur d’histoire de la mode à l’Ecole du Louvre et conservateur au musée des Arts décoratifs de Paris, à l’occasion de l’exposition au Met de New York :
Le vêtement de deuil est un signe extérieur de tristesse, par Emmanuelle Peyret, www.liberation.fr, le 07/11/2014.
Extrait :
« Le vêtement spécifique pour le deuil semble être apparu en Espagne au XIe siècle, puis l’usage a été adopté progressivement dans les cours septentrionales – comme à la cour de France. Nous avons quelques témoignages précieux pour la France du Moyen Age : en 1316, Philippe V de France se couvre de noir à la mort de Louis X le Hutin. En 1328, Mahaut d’Artois porte cette même couleur à la mort de Charles IV, son gendre. »
A priori, Anne de Bretagne ( 1477-1514) est la première reine à porter le deuil en noir en France. Mariée à deux rois de France, elle perd six enfants en bas âge. Et décide de porter le deuil en noir et non en blanc comme c’était l’usage. Un choix en phase avec le rigorisme de l’époque, mais aussi avec les progrès techniques et les nouvelles possibilités de produire des étoffes d’un noir plus profond.
Source : Deuil : histoire du costume écrit par Renée Davray- conservateur du Patrimoine de la Ville de Paris, via l’Encyclopédie Universalis.
Extrait :
« La diversité des mœurs et des usages suivis par les différentes sociétés émerveille les auteurs de l’Encyclopédie. Ils relèvent que le blanc domine en Orient, mais aussi à Rome, à Sparte, en Castille et dans quantités d’autres régions d’Europe. Les reines de France portent le deuil en blanc jusqu’au XVIe siècle : Marie Stuart, Élisabeth d’Autriche et Louise de Lorraine sont les dernières reines blanches ; Anne de Bretagne aurait été la première reine à porter le deuil en noir, imité
Les tenues de deuil recommandées
Au XIXe siècle, dans les grandes villes françaises, les « magasins de deuil » (ou « de noir ») fournissent des recommandations sur les usages des tenues de deuil, au sein de petits livrets publicitaires.
Par exemple, à Lyon, selon l’Étiquette pour deuils de veuve et de veuf éditée par la maison de deuil Au Sablier, 98, rue de l’Hôtel de Ville :
Source :
Le paraître de la veuve : Dans la France des XIXe et XXe siècles par Jean-Paul Barrière, in Paraître et apparences en Europe occidentale du Moyen Âge à nos jours, nouvelle édition [en ligne], éd. Presses universitaires du Septentrion, 2008, books.openedition.org, p. 75-97.
Noir, couleur du deuil mais aussi de l’élégance
Au-delà des circonstances de deuil, la couleur noire est aussi une manière d’afficher sa bonne vertu, sa morale et constitue une manière forte de se distinguer.
« Dès la fin du XIVe siècle, on note la présence de vêtements noirs dans la garde-robe de très grands personnages : le duc de Milan, le comte de Savoie, les seigneurs de Mantoue, Ferrare, Rimini, Urbino. Au tournant du siècle, la mode nouvelle sort d’Italie : rois et princes étrangers se mettent eux aussi au noir. À la cour de France, par exemple, c’est pendant la folie de Charles VI, après 1392, que cette couleur commence à être portée par les oncles du roi et surtout par son frère Louis d’Orléans, sans doute influencé par sa femme, Valentine Visconti, qui a apporté avec elle les usages de la cour de Milan. Même phénomène en Angleterre dans les dernières années du règne de Richard II (1377-1399), gendre de Charles VI : à sa cour, le noir est partout. L’Italie du Nord avait lancé la mode du noir princier, la France et l’Angleterre la répercutent désormais dans tout le monde européen, dans les pays d’Empire, en Scandinavie, dans la péninsule Ibérique et jusqu’en Hongrie et en Pologne.
Après le XVe siècle : Le siècle suivant reste doublement fidèle à cette couleur à côté du noir royal et princier, dont la mode se prolonge jusque fort avant dans l’époque moderne, se maintient et se renforce un noir moral, celui du costume des religieux et des gens de robe longue. La Réforme protestante, voit dans ce second noir la couleur la plus digne et la plus vertueuse. »
Sources :
Noir : histoire d’une couleur de Michel Pastoureau, pp. 122-123.
Michel Pastoureau, Points, 2014.
Résumé :
« Histoire du noir dans les sociétés européennes mettant l’accent sur sa place dans les pratiques sociales, dans les lexiques, la teinture, le costume, etc., et sur ses enjeux artistiques. Souligne l’ambivalence du noir, symbole positif de fertilité, dignité, autorité, humilité, ou symbole négatif de tristesse, deuil, péché, enfer, etc. »
Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France
Pierre Adolphe Cheruel, Librairie Hachette et Cie, 1855.
Pour aller plus loin…
Podcasts à réécouter
La série : Le noir est une couleur sur Radiofrance.fr/franceculture
Épisode 1/4 : Le noir à travers les âges, avec Michel Pastoureau
« Couleur de la nuit et symbole de mort, le noir structure notre vision du monde. L’historien Michel Pastoureau analyse le noir comme un fait culturel et social et décrit l’évolution de cette couleur à travers l’histoire. »
Pourquoi on porte du noir aux enterrements par Derwell Queffelec, Radiofrance.fr, le 16/04/2022.
« En Occident, nous avons pour coutume de nous habiller de noir lors des enterrements, mais cela n’a pas toujours été le cas. D’autres cultures arborent au contraire des couleurs vives au moment du deuil. Retour sur l’origine du noir dans le deuil. »
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