Pourquoi ne pas envoyer les déchets radioactifs sur le soleil ?

Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 11/05/2022.

Personnes mobilisées contre l'enfouissement des déchets nucléaires à Bure.
Mobilisation contre l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure © Cjp24 – CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons

Le stockage des déchets nucléaires toutes catégories issus de différentes activités humaines (industrie électronucléaire, défense, recherche ou médecine…) a toujours posé problème (voir à ce sujet : l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs de l’ANDRA, partie 1, p.8).
Or, à titre de solution potentielle alternative à l’enfouissement des déchets, avait été émise l’idée, dès les années 1960-1970, d’envoyer les déchets radioactifs sur le soleil (plus précisément en orbite autour du soleil) plutôt que de les entreposer sur la Terre.
Pour quelles raisons cette solution n’avait-elle pas pu être mise en œuvre à l’époque ? Grâce aux multiples évolutions technologiques, pourrait-elle l’être aujourd’hui ou reste-t-elle décidément une solution “farfelue” ?

L’envoi des déchets nucléaires sur le soleil : les avantages

Une solution “logique” de protection de la Terre

Si certains déchets, de très faible activité (TFA), sont actuellement stockés au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), ce Centre avait atteint fin 2020 environ 63 % de sa capacité de stockage autorisée de 650 000 m3. Dans sa configuration actuelle, le Cires ne suffira pas pour stocker les volumes de déchets TFA issus des démantèlements à venir dans les prochaines années. Des solutions de gestion complémentaires, et autres que la seule augmentation de la capacité de stockage du Cires, sont donc actuellement à l’étude. Et d’autres types de déchets plus nocifs encore, à haute activité (HA) ou à vie très longue, nécessitent d’autres types de stockage.
Pour assurer la protection de l’homme et de son environnement contre les risques associés à ces déchets (que leur enfouissement se fasse en subsurface terrestre ou en zone géologique profonde), pourquoi ne pas les mettre “ailleurs” que sur la Terre, donc dans l’espace, en orbite autour du soleil en particulier ?

Rapport IRSN/2019-00318 intitulé Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (IRSN/FRM-285 Ind 9), par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, mai 2019.
L’envoi de déchets radioactifs dans l’espace, en orbite autour du soleil notamment, y est présenté, accréditant le sérieux de cette solution : Rubrique 7.1, p. 37-38.
Résumé :
Les études publiées par la NASA en 1978 [173], envisagent cinq destinations possibles pour les déchets. La surface de la lune (atteignable en quelques jours) et l’orbite autour du soleil (en six mois) sont celles considérées comme les plus intéressantes du point de vue de la sûreté. L’option d’un entreposage sur la lune a été évoquée, mais son coût apparaissait rédhibitoire.


L’envoi des déchets sur le soleil : une solution radicale d’élimination

Les considérations de santé publique liées à l’élimination des déchets nucléaires par lancement de ceux-ci à destination du soleil, par Murray R. Berkowitz, revue de l’ASPJ Afrique et francophonie (Air and Space Power Journal), vol. 4, n°2, 2013, p.5-12.
Le présent article examine les aspects de la santé publique de cette solution.
L’auteur est professeur titulaire et directeur associé de médecine préventive et communautaire, au Georgia campus du Philadelphia College of Osteopathic Medicine et chercheur au Osteopathic Research Center à Fort Worth, au Texas.
Extrait
:

L’élimination des déchets radioactifs par leur lancement à destination du soleil fait disparaître les risques d’exposition que font peser des fuites dans une installation de stockage ou le détournement de tels déchets à des fins de terrorisme nucléaire. Le principe sous-jacent est que toute matière capturée par la gravité du soleil subira des contraintes excédant les limites de son intégrité structurelle et se disloquera avant d’arriver au soleil lui-même. En outre, les températures sont tellement élevées qu’elles incinèrent et consument tous les matériaux avant d’arriver à la couronne solaire.


Une solution qui présente de multiples obstacles

D’énormes difficultés techniques persistantes

●   Concernant le mode de transport de ces déchets

– La fiabilité des fusées, qui génère un risque grave de santé publique en cas d’explosion en vol

cpdp – réponse du DGEMP (Direction générale de l’énergie et des matières premières), Ministère de l’Industrie, site de la Commission du débat public cpdp.debatpublic.fr, (pas de date de réponse mentionnée).
Réponse :

L’idée d’envoyer les déchets dans l’espace a été examinée dans les années 1960 – 1970, en particulier en relation avec le Centre national d’études spatiales (CNES). Elle a alors été écartée car elle cumule deux inconvénients techniques majeurs : elle repose entièrement sur la fiabilité du lanceur et elle est par nature irréversible. Si la fiabilité des lanceurs a effectivement progressé au cours des dernières décennies, elle ne permet cependant pas d’envisager le recours à cette solution qui exigerait un taux de fiabilité de 100%.

Concernant la notion d’irréversibilité

Pour mieux comprendre à quoi renvoie cette notion d’irréversibilité ici, on peut consulter Irréversibilité et la gestion des déchets radioactifs dans la loi du 30 décembre 1991, par Michel Prieur, Revue juridique de l’environnement, Hors-série, 1998, sur la plateforme académique Persée.
Extrait :

Est irréversible une action dont les effets sur l’environnement ne peuvent être réparés par la nature ou par des mesures techniques. L’acte irréversible entraîne des dégâts auxquels il est impossible de remédier ou qui ne sont réparables qu’à très long terme (par exemple une centaine d’ années).

Nuclear waste disposal in space de R.E. Burns, W. E. Galloway, W. E. Causey et R. W. Nelson par la NASA, 01/05/1978. Chapitre III : Parties D, E, et F, p. 38-42.
Les différents articles mentionnent des études réalisées par la NASA dans les années 70 et 80. Le document ci-dessus est le rapport de ces recherches sur le traitement des déchets nucléaires dans l’espace. C’est un rapport très technique et en anglais.
Extrait (traduit) :

Tout d’abord, envoyer nos déchets sur le Soleil constitue une hypothèse sérieuse. Le Soleil se trouve à des centaines de millions de kilomètres de la Terre. De plus, la chaleur autour du Soleil est telle qu’elle brûle absolument tout. Le seul problème, c’est d’y envoyer nos déchets. En effet, c’est bien trop risqué de remplir une fusée de nos plus gros déchets nucléaires. Si la fusée s’écrase, les conséquences seraient terribles.

– La puissance de propulsion de canons (alternative aux fusées) 
Les chemins du Super Espace : de gigantesques canons ?  de David P. Stern sur Des observateurs aux explorateurs de l’espace, 13/12/2001.
Extrait :

Un canon de ce type a été vraiment construit, nommé SHARP–HARP, pour « High Altitude Research Project », ( en fait un projet antérieur : voir la section #30a), et S pour « Super « . SHARP est utilisé par le laboratoire des armes de Livermore, près de San Francisco, pour étudier le vol des véhicules spatiaux et des projectiles, jusqu’à 8-9 fois la vitesse du son. […]  Si impressionnant que soit SHARP, ses projectiles n’iraient pas loin dans l’espace, même si son fût n’était pas horizontal, mais vertical, comme le canon de Jules Verne. Leur vitesse est insuffisante pour obtenir un mouvement continu dans l’espace, qui est de 24 fois la vitesse du son, en orbite circulaire à basse altitude, et 34 fois pour échapper complètement à la gravité de la Terre.

Pourrait-on envoyer les déchets nucléaires dans le soleil ?, par l’équipe de Ça m’intéresse, 11/03/2021. Format court dont voici la teneur et la réponse :
« En théorie, oui. Mais le lancement d’une fusée chargée de déchets nucléaires présente un risque : en cas d’explosion, les éléments radioactifs seront disséminés dans la nature. De plus, il faudrait envisager des centaines de tirs à plus de 300 millions d’euros. Autre solution : utiliser des canons propulsant des charges à 11,2 km/s afin d’échapper à l’attraction terrestre. Seuls les canons à gaz du laboratoire Livermore, aux Etats-Unis, ou les canons électriques étudiés à l’institut Saint-Louis, en France, sont capables d’un tel exploit. Aucun d’eux n’étant opérationnel, les déchets resteront sur Terre pour l’instant. »

●    Concernant le mode de conditionnement de ces déchets

Rapport IRSN/2019-00318 intitulé : Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (IRSN/FRM-285 Ind 9), par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, mai 2019.
Extrait :

Dans son rapport, la NASA évoque également le programme d‘études mis en place pour concevoir le conditionnement des déchets. Pour ce travail de conception, la résistance thermique et la résistance mécanique constituent des paramètres tout particulièrement importants. Le colis de déchets doit en effet résister aux situations de transfert dans l’atmosphère et de chute au sol qui pourraient résulter d’un accident de l’engin spatial, tout en restant extrêmement léger (voir aussi [140], mentionnant les besoins en R&D). (p.38)


Des freins financiers

Page “Déchet radioactif, site techno-science.net, partie sur “l’Évacuation spatiale”.
Extrait :

La quantité : 340 tonnes/an (avec le conditionnement et les emballages) pour la seule France, bien plus que la capacité d’une fusée actuelle ( à titre d’exemple, la fusée Ariane V met 10 tonnes maximum en orbite solaire, soit 15 millions d’euros par tonne de déchets emballés et 34 lancements/an ); or aujourd’hui le coût du stockage profond géologique est de 150 000 euros par tonne, donc environ 100 fois moins cher.

Episode 14 : Peut-on stocker des déchets radioactifs en mer ou dans l’espace ?, par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), YouTube, 25/03/2022.
Présentation :
Les experts et chercheurs de l’IRSN répondent aux questions que se posent les Français sur les risques liés à la gestion des déchets nucléaires.
Muriel Rocher, adjoint au chef d’unité d’expertise et de modélisation des installations de stockage (IRSN), nous explique ce qu’il en est du stockage des déchets radioactifs en mer ou dans l’espace.
Celle-ci expose que la principale raison de l’abandon de ce projet est son coût.

Déchets nucléaires : état des lieux d’Isabelle Billard dans l’INIS (International Nuclear Information System), 2006. Chapitre IV, Rubrique 3.1.
Extrait
:

La fusée Ariane 4, prouesse technique et exceptionnelle réussite commerciale, ne met pas plus de 10 t en orbite par lancement (Ariane 5 : 10 t, 1999). Une fusée propulsant les déchets vers le soleil devrait être conçue en conséquence, ce qui n’est pas si simple. Comme la France génère 1200 t de déchets par an, cela impose 120 décollages de fusée par an, soit 1 tous les trois jours avec, évidemment, un taux de réussite de 100% garanti à vie. C’est tout à fait irréaliste.


Un enjeu de santé publique

Un envoi réussi hors de la Terre, en orbite autour du soleil, présenterait un réel avantage en termes de santé publique. Mais le problème du conditionnement des déchets (à la fois légers et résistants en cas d’accident de la fusée) n’ayant pas été résolu, en cas d’explosion de la fusée, les déchets risqueraient de se répandre sur la Terre, irradiant alors des populations.
Des solutions plus ou moins farfelues pour gérer les rebuts nucléaires, par Pierre Le Hir, Le Monde, 11/06/2019.
Examen de différentes solutions de stockage, dont celle de l’envoi dans l’espace, en orbite autour du soleil :
« L’agence spatiale américaine, la NASA, l’a très sérieusement envisagé dans les années 1970 et 1980, en imaginant plusieurs destinations : la surface de la Lune (accessible en quelques jours), l’orbite autour du Soleil (atteignable en six mois), voire même l’au-delà du système solaire.
Ses travaux ont porté sur des conditionnements assez robustes pour parer à tout accident de l’engin porteur, navette spatiale ou lanceur lourd, le risque étant un « retour à l’envoyeur ». Un risque dont la désintégration au décollage de la navette Challenger, en 1986, puis celle, lors de son retour sur Terre, de la navette Columbia, en 2003, ont montré qu’il n’avait rien d’hypothétique. Ajouté à un coût prohibitif, ce danger a conduit à l’abandon du programme
. »


Pour en savoir plus…

Fiche très complète, claire et imagée : Déchets radioactifs, Fini les idées reçues sur le site de l’Andra.

Dossier du maître d’ouvrage pour le débat public sur le 5e Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs.
Un dossier en collaboration entre le ministère de la Transition écologique et l’Autorité de sûreté nucléaire  mentionné dans l’article du Blob « Déchets radioactifs : le débat public débute demain ».  L’article traite du débat public sur les déchets radioactifs en 2019 dont le dossier en découle.

En ouvrage récent sur le sujet :
La gestion des déchets radioactifs, de Jean-Claude Amiard, Iste éditions, 2022.
Résumé :
Présentation des classifications établies par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’OCDE-AEN en matière de gestion des déchets radioactifs. Après avoir détaillé les différentes catégories de déchets, l’auteur recense les solutions envisageables et explique celles retenues par les Etats. ©Electre 2022


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