Bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie – Notre réponse du 17/09/2020.
Depuis 2015, l’animal est enfin reconnu comme « un être vivant doué de sensibilité » avec l’article 515-14 du Code civil.
On a longtemps cru que les hommes avaient le monopole des sentiments mais grâce aux recherches scientifiques et neurobiologiques, on a désormais accès à une meilleure compréhension des capacités cognitives des animaux. Il nous est impossible, à présent, de nier le fait que de nombreuses espèces animales peuvent ressentir des émotions, voire même certains sentiments – le sentiment étant la capacité à établir une relation de cause à effet entre l’émotion et son origine .
Petite histoire d’une évolution de notre regard sur la sensibilité animale
L’origine philosophique du dénigrement de l’animal
Le déni de tout sentiment à l’animal s’est fondé sur une théorie, celle théorie des animaux-machines établie par Descartes. Selon cette théorie, il faut considérer que l’animal ne possède ni âme ni conscience.
Le site dicophilo.fr explique brièvement cette théorie dans l’article animal-machine : Définition.
Première critique
Dès le XVIIIème siècle, le philosophe utilitariste Jérémy Bentham critique cette idée que les animaux n’auraient aucune sensibilité.
Pour une analyse de sa pensée :
Nous, animaux et humains. Actualité de Jeremy Bentham.
Tristan Garcia, Ed. François Gourin, coll. Philosophie, 2011.
Présentation sur France culture :
(…) »En se plaçant dans les pas de Jeremy Bentham mais aussi des grands auteurs de la pensée animaliste (Peter Singer, Tom Regan, Martha Nussbaum) et de certains écrivains (Franz Kafka, Curzio Malaparte, J. M. Coetzee), Tristan Garcia se livre à une réflexion très personnelle sur les paradoxes de la nouvelle communauté morale qui nous relie aux autres animaux.
Pourquoi ce lien s’impose-t-il au moment où nous ne vivons plus ensemble ? Comment s’interdire de faire souffrir les autres animaux sans souffrir de la souffrance qu’ils s’imposent ?
Sans jamais clore l’interrogation, l’auteur appelle à sortir de la focalisation sur la question du droit, pour ouvrir celle de la communauté sensible que nous pouvons former – ou pas – avec ce lointain semblable qu’est l’animal.«
Considération contemporaine de la sensibilité animale
Divers penseurs aujourd’hui, suivant la voie de Bentham, remettent en cause la prééminence que l’homme s’est longtemps accordée au sein de la nature (depuis la fameuse « échelle de la nature » venant d’Aristote), et proposent de repenser l’animal, ainsi que notre rapport à lui.
Voir à ce sujet par exemple l’œuvre d’Elisabeth de Fontenay Le Silence des bêtes, Ed. Fayard, 1998, et sa présentation sur France Culture.
A écouter en podcast sur France Culture :
Elisabeth de Fontenay, philosophe de la cause animale
Emission Les Chemins de la philosophie, par Adèle Van Reeth, série « Profession philosophe », épisode 8, le 08/03/2019.
La théorie des animaux-machines, aujourd’hui discréditée, n’a fait que justifier, pendant des siècles, des traitements sans considération ni sensibilité à l’égard des animaux et de leur bien-être.
Par ailleurs, cette vision a bien évidemment été alimentée et renforcée par la société de consommation qui a toujours préféré considérer l’animal comme une marchandise, limitant ainsi la relation entre l’homme et l’animal à un rapport d’utilité.
Voir à ce sujet : https://www.fundacion-affinity.org/fr/chiens-chats-et-personnes/les-emotions-chez-les-animaux
Approche scientifique de la question :
Sur la mesure des émotions par les biologistes :
Voir l’article Comment mesurer les émotions ? de Lucille Bellegarde, publié le 10/05/2017 sur le site Planet Vie
(site de ressources pour les enseignants en SVT)
Présentation : Cet article expose différents indicateurs de mesure des émotions des animaux : changements comportementaux et physiologiques (qui permettent avant tout de cerner l’intensité des émotions ressenties par l’animal) mais aussi biais cognitifs pour mesurer la valence de cette émotion (son caractère positif et négatif).
Extrait :
« Les indicateurs comportementaux et physiologiques décrits ci-dessus sont très utiles, mais sont souvent plus indiqués pour détecter l’intensité d’une émotion (forte ou faible) que sa valence (positive ou négative).
Par exemple, la fréquence cardiaque augmente lorsque l’animal a peur, mais également lors de l’anticipation de la distribution d’un aliment. Du point de vue du bien-être animal, c’est la valence qui est la mesure clé. En effet, pour améliorer le bien-être de nos animaux d’élevage, il est essentiel de réduire les émotions négatives et d’induire le maximum d’émotions positives. »
Pour une approche éthologique des émotions et de la conscience animale :
Toutes ces émotions que les animaux ressentent comme nous d’ Isabelle Taubes, site en ligne Psychologies, mise à jour 26/06/2020
Extrait :
« Un animal peut-il réellement exprimer des sentiments si humains ? Comment percevoir la vision du monde d’un loup, d’un éléphant ou d’une souris ? S’ils ne peuvent pas nous dire à quoi ils pensent, leurs cerveaux peuvent le montrer, grâce aux scanners. Et ces instruments prouvent qu’ils vivent les mêmes émotions primaires (tristesse, bonheur, colère, crainte) que nous. Il est désormais avéré que des mécanismes neuronaux similaires aux nôtres sont à l’œuvre également chez des créatures aussi peu familières que les vers ou les écrevisses. «
Qu’est-ce qui fait sourire les animaux ? : enquête sur leurs émotions et leurs sentiments de C. Safina, O. Demange, Vuibert, 2018.
Présentation :
Le biologiste rapporte ses observations d’éléphants du parc Amboseli au Kenya, de loups du parc de Yellowstone, et d’orques du Pacifique Nord. Etudiant leurs comportements, il démontre qu’ils sont doués de sentiments et d’émotions.
À quoi pensent les animaux ? : comportements, cognition, émotions de C. Baudoin, B.Cyrulnik, CNRS, 2019 .
Présentation :
Une introduction à l’éthologie, étude comparée des comportements animaux et humains, pour mieux comprendre le fonctionnement des sociétés et du monde biologique. Le comportement est mis en parallèle avec l’évolution, la cognition, les émotions et les sentiments. L’auteur réfléchit également aux applications possibles dans le secteur économique, ainsi qu’aux enjeux éthiques et philosophiques.
L’animal a-t-il des émotions et des sentiments ?
Simon Brunfaut, L’Echo, 03/03/2018
Présentation : Cet article revient à la fois sur les acquis des différentes sciences (neuropsychiatrie, neurobiologie, éthologie) mais aussi sur la différence qui pourrait subsister entre sentiment humain et sentiment animal.
Extrait :
« (…) certains animaux développent une conscience, une forme de comportement moral plus élaboré: la culpabilité du chien qui a fait une bêtise, le gorille qui bombe le torse pour exprimer sa fierté ou son orgueil, etc. (…) Toutefois, les scientifiques estiment que les sentiments humains sont plus complexes parce que notre cerveau peut se créer une certaine image du passé et du futur.
Le neurobiologiste Jean Didier Vincent distingue quant à lui les « émotions primordiales » – l’amour, le désir – des émotions ordinaires, « celles que partagent les êtres humains et les animaux supérieurs ». « Les émotions primordiales constituent le propre de l’homme, passant par les instances du désir et de la conscience partagée. »
C’est pourquoi l’homme peut éprouver une joie qu’il qualifiera d’ »intense » ou une tristesse qu’il nommera « profonde », car cette émotion s’inscrit dans une histoire (et aussi une histoire commune), elle est toujours en relation avec ce qu’il a vécu, ce qu’il va vivre et ce qu’il veut vivre. Outre cette différence, subsiste l’épineuse question du langage. (…)«
Pour aller plus loin sur les impacts juridiques :
Régime juridique de l’animal
Fondation-droit-animal.org
Les limites à l’évolution de la considération juridique de l’animal : la difficile conciliation des intérêts de l’homme et de ceux des animaux.
Lucille Boisseau-Sowinski, revue Tracées, sur la plateforme OpenEditions.org, hors-série 2015.
Eurêkoi – Bibliothèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie