Quel impact l’accident d’autobus de Frida Kahlo a-t-il eu sur son art ?
Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 28/06/2023.
Frida Kahlo est morte en 1954 mais, a pratiquement toute sa vie été confrontée à la maladie et la douleur. Dès son plus jeune âge, elle rencontre un problème de santé qui empêche une de ses jambes de grandir normalement, ce qui engendre beaucoup de moqueries à l’école. Mais c’est à ses 18 ans que tout bascule lors d’un accident d’autobus qui manque de la tuer. Sa santé va alors se détériorer tout au long de sa vie.
Comment Frida Kahlo a-t-elle traduit toute cette souffrance à travers ses tableaux ?
Elle qui se disait être son propre modèle, quel impact cet accident d’autobus a-t-il eu sur son art ?
Des bibliographies pour comprendre les épreuves de Frida Kahlo
Frida Kahlo : « je peins ma réalité » par Christina Burrus, éd. Gallimard, 2007.
Résumé :
« Ma peinture porte en elle le message de la douleur. » Frida Kahlo – née en 1907 près de Mexico – a fait très tôt l’apprentissage de la souffrance : poliomyélite à 6 ans ; terrible accident d’autobus à 18 ans qui lui brise la colonne vertébrale… La jeune et indomptable Frida rencontre Diego Rivera, le grand muraliste, dans un Mexique en pleine effervescence politique et culturelle. Ils formeront un couple légendaire, profondément attaché aux cultures populaires indiennes, soudé jusqu’au bout dans la lutte communiste et dans une ambition artistique qui survivra à toutes les épreuves conjugales. Amie de Léon Trotski, admirée des surréalistes, photographiée par les plus grands, Frida a peint essentiellement des autoportraits, dont Les Deux Frida, La Colonne brisée, et aussi de singulières natures mortes. Christina Burrus retrace le destin exceptionnel de cette artiste dont l’œuvre, mélange de cruauté et d’humour, de candeur et d’insolence, est à l’image de la femme libre, belle et courageuse qui masquait sa souffrance derrière de grands éclats de rire communicatifs.
À voir : Frida Kahlo I Quelle Histoire – TV5 Monde
Un accident qui finit par l’inspirer
Frida Kahlo : de la douleur de vivre à la fièvre de peindre par Charles Gardou, Reliance, 2005/4 (no 18), p. 118 à 131.
Extrait :
Non, la peinture n’est pas chez elle une vocation précoce ! Elle jaillit de ses plaies, de son sang, de ses tripes, de son intimité, de ses fantasmes. Elle est une sorte de confession en images, une manière de conjurer la mort : « Toutes ses désillusions, tous ses drames, cette immense souffrance qui se confond avec la vie de Frida, tout est exposé là, dans sa peinture, avec une impudeur tranquille et une indépendance d’esprit exceptionnelles » Plusieurs de ses tableaux contiennent des éléments surréels et fantastiques, mais dans aucun d’entre eux elle ne se détache complètement de la réalité et de ses expériences concrètes. De sorte qu’elle refuse, avec vigueur, d’appartenir à une quelconque école, fût-elle surréaliste, même si André Breton interprète ses peintures de cette manière.
Comment ne pas lire l’expression de sa douleur d’exister dans son langage pictural, sa façon de résister au désastre personnel qui la ligote dans la douleur, ses relations tumultueuses avec son mari, l’impossibilité d’enfanter, sa représentation du monde, son âme mexicaine !
À propos de Frida Kahlo, peinture et réel du corps par Chantal Hagué, Analyse Freudienne Presse, 2009/1 (n° 16), p. 35 à 44.
Extrait :
N’est-ce pas ce qu’on retrouve à travers ses autoportraits où elle se représente toujours avec ce visage intact, impassible, un peu rigide et fixe, comme dressé dans une sorte de défi, comme un défi à la mort ? Même quand elle peint son corps mutilé, en morceaux ou sanguinolent, il y a toujours ce visage dressé avec ses sourcils d’hirondelle qui fait qu’il y a comme une division du sujet entre force et vulnérabilité.
Quelques analyses de tableaux où l’on retrouve cette inspiration
Un ouvrage général
Kahlo (1907-1954) – Souffrance et passion par Andrea Kettenmann, Éditions Taschen, 22/07/2015.
Résumé :
Icône féministe, incarnation de la culture mexicaine, activiste politique et artiste pionnière… Découvrez les multiples facettes de Frida Kahlo, qui transforma ses souffrances en peintures d’une puissance constante. Dans cette introduction, l’ensemble de ses œuvres osées et saisissantes sont présentées en regard de sa vie tumultueuse afin de mieux éclairer ses autoportraits pleins d’audace et ouvertement provocants.
Quelques exemples précis
Enjeux du narcissisme et du double dans la clinique traumatique chez Frida Kahlo par Anne-Valérie Mazoyer, Psychothérapies, 2014/3 (Vol. 34), p. 165 à 172.
Extrait :
Sa peinture, marquée par la douleur chronique, équivaut à un journal de vie, relatant nombre d’événements traumatiques : dans Ce que l’eau me donna (1938), l’eau du bain la reflète en train de se noyer, étranglée par une corde sur laquelle s’agitent des tarentules. Tour à tour, Frida s’identifie au Christ trahi portant un collier d’épines, ou encore à la Vierge des douleurs. Dans La table blessée, le meuble, affublé de jambes et de pieds humains, devient métaphore du corps morcelé et du féminin écorché.
Dans La colonne brisée (1944), les cassures sont traduites par les larmes et les clous, mais aussi par la solitude et le paysage désolé. Les larmes semblent jaillir d’un visage privé d’émotion, comme si les affects étaient évacués. L’ouverture du corps sur une colonne dorique brisée est aménagée, atténuée par l’exhibition des seins, symbole de féminité. Frida a peint cet autoportrait alors que sa santé empirait et qu’il lui fallait porter un corset de métal. La colonne brisée en plusieurs endroits, métaphore de l’axe médian, symbolise sa colonne vertébrale blessée et une verticalité complexifiée. L’ouverture de son corps et les sillons du paysage déchiré et monotone sont les symboles de la solitude et de la souffrance de Frida (la colonne brisée).
« La Colonne brisée » de Frida Kahlo, manifeste de résilience par Joséphine Bindé, Beaux Arts, 23/11/2020.
Extrait :
La colonne vertébrale (ici figurée par un pilier en ruines), les côtes et le bassin cassés, la jambe droite fracturée en onze endroits et la cavité pelvienne transpercée par une barre de métal, l’artiste, privée de la capacité d’avoir des enfants, subira jusqu’à sa mort de longues périodes d’alitement et de lourdes opérations qui ne la soulageront jamais.
Le corps brisé de Frida Kahlo : Du corps réel au corps imaginaire par Catherine Roseau, Psychosomatique relationnelle, 2018/1 (N° 8) p. 108 à 115.
Extrait :
Le deuxième tableau Ma nourrice et moi (1937) montre la nourrice indienne qui allaite la petite Frida couchée dans ses bras. L’artiste fut nourrie effectivement par une indienne qu’elle considéra comme une mère nourricière dont le lait transmettait toutes les valeurs culturelles du Mexique précolombien. Le buste massif, à la sombre nudité, s’offre comme un contenant, un espace d’inclusion où la petite Frida toute blanche est incluse dans le grand torse sombre de la nourrice, le dehors dans le dedans, la lumière dans les ténèbres, manière de représenter la relation de grande proximité entre la nourrice et l’enfant.
La troisième œuvre Les deux Frida (19 939) représente les deux femmes, l’une, à gauche, vêtue d’une robe blanche à la manière occidentale, et l’autre, à droite, d’une robe d’indienne. Les deux femmes sont assises sur un banc, se tenant par la main, légèrement de trois quarts, face au spectateur. Les deux visages portent un même signe : la ligne noire des sourcils se rejoignant pour former les « ailes noires d’un merle » selon les paroles de l’artiste. Celle-ci construit une image de sa double culture dans une représentation qui associe signes extérieurs et intérieurs. La parenté des deux femmes ne se manifeste pas seulement dans leur apparence, leur ressemblance, leur attitude mais aussi dans leur communication la plus intime car leurs deux cœurs sont reliés par une veine imaginaire représentant la circulation sanguine qui chemine d’un cœur à l’autre.