Bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe, notre réponse du 26/12/2019
Suite de la question : Cette citation attribuée au nationaliste algérien est -elle authentique et, si oui, pourriez-vous me dire d’où est-elle tirée ?
Malheureusement, malgré nos recherches, nous n’avons pas pu identifier avec précision la source de cette citation attribuée à Ferhat Abbas.
Plusieurs auteurs la citent dans leurs ouvrages, sans indiquer la source. Voir, par exemple :
Sans ambages : France, toujours là, face aux extrémismes, terrorismes et autres fanatismes islamistes
Charles Jantelot. Paris : Nouvelles éditions latines, 2013, p. 71
(L’ouvrage est partiellement consultable sur Google Books)
Algérie 1960-1961 : entre chiens de garde et chacal enragés
Olivier Millet, . – Paris : L’Harmattan, 2017, p. 35, 37.
Les braises du souvenir : en Algérie.
Maurice de Kevenoael, . – Paris : Archipel, 2019
(L’ouvrage est partiellement consultable sur Google Books)
Les positions de Ferhat Abbas évoluent le long de sa vie, de ce qui a été appelé l’assimilationnisme au séparatisme et aux revendications identitaires. Il est possible que la phrase « La France n’a pas colonisé l’Algérie, elle l’a fondée » soit liée à la période avant le Manifeste algérien de 1943.
En 1931, Ferhat Abbas réunit ses articles écrits dans les années 20 sous le titre « Le jeune Algérien : de la colonie vers la province », un ouvrage dans lequel il exprime des idées assimilationnistes, il prône l’égalité des droits entre les Français et les Algériens, il indique les voies pour que l’Algérie devienne une véritable province française, profitant des avantages apportés par l’État colonisateur (éducation, médecine, économie, etc.).
Ce livre a été réédité en 1981, avec le rapport au Maréchal Pétain (avril 1941) que Ferhat Abbas caractérise lui-même comme « le dernier de mes écrits en faveur de l’égalité des droits, dans le cadre de la République française » et « ma dernière tentative auprès du Gouvernement légal de la France pour obtenir de profondes réformes de structure susceptibles de parer au désespoir de notre peuple ».
De la Colonie vers la Province : Le jeune Algérien (1930), suivi de Rapport au Maréchal Pétain (avril 1941)
Ferhat Abbas. Paris : Éditions Garnier Frères, 1981, p. 9, 169).
Un autre texte dont l’ombre a poursuivi Ferhat Abbas a été publié dans Entente franco-musulmane en février 1936, car il avait été estimé qu’il y niait l’existence de la nation algérienne :
« Si les Ulémas étaient des « racistes », des « panislamistes », nous, amis politiques du Docteur Bendjelloul, nous serions des Nationalistes. L’accusation n’est pas nouvelle. Je me suis entretenu avec diverses personnalités de cette question. Mon opinion est connue. Le nationalisme est ce sentiment qui pousse un peuple à vivre à l’intérieur de frontières territoriales, sentiment qui a créé ce réseau de nations. Si j’avais découvert la « Nation Algérienne », je serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Les hommes morts pour l’idéal national sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant je ne ferai pas ce sacrifice. L’Algérie en tant que Patrie est un mythe. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’Histoire ; j’ai interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé. Sans doute ai-je trouvé « L’Empire Arabe », « L’Empire musulman », qui honorent l’Islam et notre race, mais ces empires se sont éteints. Ils correspondraient à l’Empire Latin et au Saint Empire romain-germanique de l’époque médiévale. Ils sont nés pour une époque et une humanité qui ne sont plus les nôtres.
[…]
Six millions de Musulmans vivent sur cette terre devenue depuis cent ans française, logés dans des taudis, pieds nus, sans vêtement et sans pain. De cette multitude d’affamés, nous voulons faire une société moderne par l’École, la défense du Paysannat, l’Assistance Sociale. Nous voulons l’élever à la dignité d’Homme pour qu’elle soit française.
Est-il d’autre politique coloniale plus féconde ? Ne l’oublions pas. Sans l’émancipation des Indigènes il n’y a pas d’Algérie française durable. La France c’est moi, parce que moi je suis le nombre, je suis le soldat, je suis l’ouvrier, je suis l’artisan, je suis le consommateur. Écarter ma collaboration, mon bien-être et mon tribut à l’œuvre commune est une hérésie grossière. Les intérêts de la France sont nos intérêts dès l’instant où nos intérêts deviennent ceux de la France ». [extrait].
Le texte complet peut être consulté sur internet :
Texte et contexte : évolution du lexique dans l’œuvre politique, littéraire et journalistique de Ferhat Abbas : approche lexicométrique.
Chérif Souti. Thèse, sous la dir. de Pr. Yacine Derradji. Constantine : Université des Frères Mentouri, Faculté des Langues et des Lettres, Département des Lettres et Langue Française, 2014-2015. Voir l’Annexe 3.
Ferhat Abbas revenait lui-même sur les accusations d’être « pro-français » :
« Connaissant le passé colonial, j’appréhendais surtout les révoltes et la mort de multitude d’innocents. C’est pourquoi j’ai recherché longtemps la solution de conciliation et l’émancipation grâce à la culture scientifique des masses populaires…. On a dit que j’étais « pro-français ». Plus exactement, je suis de culture française. Et c’est presque le cas des hommes de ma génération, de ceux qui nous ont précédés et de ceux qui nous ont suivis. … Cet enseignement français pouvait-il nous faire perdre notre personnalité et nous détacher de notre passé ? Je ne l’ai jamais cru.
L’Islam est une « patrie spirituelle », sans frontière, qui nous guide du berceau à la tombe. Elle assimile les cultures étrangères sans être absorbée par elles, ni même déformée ou affaiblie. Je suis donc resté musulman et Algérien par toutes les fibres de mon âme. Mais la culture française m’a donné un sens élevé de la vie et m’a fait mesurer les valeurs de la démocratie et de l’humanisme vrai. Je lui reste fidèle »
De la Colonie vers la Province : Le jeune Algérien (1930), suivi de Rapport au Maréchal Pétain (avril 1941).
Ferhat Abbas, Paris : Éditions Garnier Frères, 1981, p. 27.
Bibliographie :
Pour mieux comprendre l’évolution des idées de Ferhat Abbas et du nationalisme algérien en général, nous vous invitons à découvrir ses textes ainsi que quelques études y consacrées :
De la Colonie vers la Province : Le jeune Algérien (1930), suivi de Rapport au Maréchal Pétain (avril 1941)
Ferhat Abbas. Paris : Editions Garnier Frères, 1981 (disponible à la Bibliothèque de l’IMA)
Guerre et révolution d’Algérie : la nuit coloniale.
Ferhat Abbas. Paris : René Julliard, 1962.
Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
Le Manifeste du peuple algérien, suivi du Rappel au peuple algérien.
Ferhat Abbas. Orients Editions, 2013.
Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
Demain se lèvera le jour : ouvrage inédit, publié à titre posthume.
Ferhat Abbas. Alger : Livre Editions, 2010.
Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
L’injustice.
Ferhat Abbas. Leïla Benamar Benmansour. Alger : Livres Éditions, 2010 Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
« Assimilation et séparatisme dans le mouvement nationaliste algérien au milieu des années 1930 » de Youssef Girard dans Histoire politique des immigrations (post) coloniales : France, 1920-2008 coordonné par Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat, Paris : Editions Amsterdam, 2008, p. 45-56 Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
Ferhat Abbas : une utopie algérienne.
Benjamin Stora, Zakya Daoud. Paris : Editions Denoël, 1995.
Disponible à la Bibliothèque de l’IMA
« L’Algérie devant le Parlement français, de 1935 à 1938 » de Marie-Renée Mouton dans Revue française de science politique, 12ᵉ année, n°1, 1962. pp. 93-128.
Consultable en ligne
« Un manuscrit inédit de Ferhat Abbas. Mon Testament politique » de Charles-Robert Ageron dans Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 81, n°303, 2e trimestre 1994. pp. 181-197
Consultable en ligne
Eurêkoi – Bibliothèque de l’Institut du monde arabe
Ferhat Abbas (1899-1985) a-t-il dit ou écrit : «La France n’a pas colonisé l’Algérie, elle l’a fondée »? Je ne sais pas mais voici une déclaration du général de Gaulle qui va dans le même sens:
« Car, depuis que le monde est le monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays, sans qu’il y ait eu, à aucun moment, sous aucune forme, un Etat algérien ».
Extrait de la conférence de presse du général de Gaulle, le 16 septembre 1959.