Comment vivaient les ouvriers à Guise ?

Bibliothèque municipale de Lille – notre réponse du 24/11/2021, actualisée le12/07/2024.

Montage d'un dessin de Jean-Baptiste André Godin devant des poêles sur fond du familisère de Guise
Montage Eurêkoi (Bpi) d’après des images d’Henri Demare et Helge Klaus Rieder via wikimedia commons

Si vous êtes intéressés par les différentes expériences imaginées ou réalisées pour améliorer la vie des ouvriers aux XIXe siècle, alors que leurs conditions de vie étaient souvent effroyables, il vous est impossible de passer à côté d’un établissement atypique : le Familistère ou « Palais social ». Selon son fondateur, Jean-Baptiste André Godin, le néologisme « familistère » « renvoie à la fois à la famille, noyau social essentiel, et au « phalanstère » imaginé par Charles Fourier : un lieu d’habitation quasi autarcique destiné à accueillir une Phalange, une communauté composée de 1 620 individus aux personnalités différentes et complémentaires. » (source : L’utopie en héritage : Le Familistère de Guise (1888-1968) de Jessica Dos Santos, Presses universitaires François-Rabelais, 2018). Alors comment vivaient les ouvriers qui habitaient dans le Familistère de Guise ?

Le Familistère de Guise

Le « Palais social » de Jean-Baptiste André Godin

Le site de la mairie de Guise contient une présentation courte et efficace du Familistère de Jean-Baptiste André Godin.

« Jean-Baptiste André Godin (1817-1888), créateur de la manufacture des fameux poêles et génial industriel, fut aussi un expérimentateur social de tout premier plan. Pour faire la preuve pratique des bienfaits de la société harmonieuse imaginée par le philosophe Charles Fourier, il bâtit à partir de 1859 le Familistère ou « Palais social », un site unique au monde, une utopie réalisée. »

« Le Familistère est la réalisation d’un projet bien différent de celui des cités ouvrières patronales. Au sein de l’Association coopérative du capital et du travail, les travailleurs participent à la gestion et aux décisions ; ils deviennent propriétaires de l’usine et du palais. La cité édifiée à côté de la fonderie, encore en activité, devait offrir « les équivalents de la richesse » aux familles des employés de l’usine. Le palais comprend d’étonnants pavillons d’habitation collective et de nombreux équipements de service : des magasins, une buanderie et une piscine, un jardin et des promenades, une crèche, des écoles, un merveilleux théâtre. L’espace libre, l’air pur, la lumière et l’eau en abondance sont les éléments d’un urbanisme et d’une architecture à la mesure de l’homme. »

Nous vous recommandons de consulter le site officiel du Familistère de Guise, qui est une véritable mine d’informations sur le sujet, ainsi que le dossier Le familistère de Guise disponible en ligne sur le site Passerelles de la Bibliothèque nationale de France (BnF).

Youtube – Le Familistère de Guise par Maxime Patte, Un Temps d’Avance, 17/03/2020.

Une révolution sociale

Le Familistère est une expérience inédite, à la fois sociale et architecturale, qui abrite 1300 personnes à la veille de la Première Guerre mondiale (soit un habitant de Guise sur six).

« Pour l’entrepreneur, « l’amélioration du sort des classes ouvrières n’aura rien de réel tant qu’il ne leur sera pas accordé les équivalents de la richesse ». C’est-à-dire le logement, l’hygiène, l’éducation et la culture, soit les avantages comparables à ceux que la fortune accorde, et qui reviennent, d’après lui, de droit aux travailleurs. À ses yeux, le seul moyen de redistribuer ces équivalents reste la conception d’une « machine à habiter ensemble ». « On ne peut faire un château pour chaque ouvrier, explique-t-il. Il faut donc, pour une équitable répartition du bien-être, créer le palais dans lequel chaque famille et chaque individu trouveront ces ressources et avantages réunis au profit de la collectivité. » »

Le familistère : l’expérimentation d’un « palais social » au Second Empire par Laure Dubesset-Chatelain, GEO, 18/10/2018.

Nous vous invitons à écouter le podcast en plusieurs épisodes Un été au familistère de Guise dans l’Aisne de Dorian Barre, France Bleu Picardie, 2023.
Résumé : Un été au familistère de Guise nous transporte dans l’univers visionnaire de Jean-Baptiste André Godin, un industriel engagé dans l’amélioration des conditions de vie de ses ouvriers. Le familistère de Guise, véritable palais social, a été conçu comme une utopie où les travailleurs pouvaient trouver un logement confortable, des espaces communs et des services collectifs.

Vous pouvez aussi consulter l’article L’histoire du dimanche – Le familistère de Guise, véritable ville utopique destinée au bien-être des ouvriers par Valentin Pasquier, France 3 Hauts-de-France, 29/01/2023.

Le Familistère permet donc aux ouvriers de bénéficier de conditions de vie décentes et en avance sur leur temps dans plusieurs domaines, notamment :
– l’éducation : l’enseignement est obligatoire jusqu’à 14 ans, mixte et laïc.
– l’égalité homme-femme : les femmes ont la possibilité de laisser leurs jeunes enfants à la crèche pour aller travailler.
– l’hygiène : les logements sont lumineux et bien aérés, chaque étage dispose de l’eau courante et d’un accès à des cabinets d’aisance, les habitants peuvent laver leur linge dans une buanderie collective et se laver à la piscine.
– la culture : le complexe possède son propre théâtre, sa bibliothèque et son kiosque à musique.

Des témoignages d’habitants

Découvrez les témoignages de personnes qui ont connu l’âge d’or du Familistère :

Chez le maire du Familistère de Guise par Nicolas Totet, L’Union, 31/12/2017.
Extrait :

« Pierre Lemaire, 86 ans et son épouse Colette, 83 printemps, forment le dernier couple de « Familistériens » comme on les appelle à Guise, parmi la quinzaine de foyers encore recensés dans cet ensemble architectural construit au XIXe siècle. »

La drôle de famille du Familistère par Lisa Hör, 18h39, 17/11/2015.
Extrait :

« Simone Dorge, 82 ans, ouvre volontiers sa porte pour raconter son histoire. Mémoire des lieux, elle a déjà témoigné plus de vingt fois auprès des médias. Son grand-père, son père, ses oncles, tous ont travaillé à l’usine Godin. Elle même a grandi à Flavigny, à trois kilomètres d’ici. C’est quand elle se marie en 1952, qu’elle emménage au Familistère. Mais pour intégrer la grande famille ouvrière et bénéficier des privilèges, comme les frais médicaux pris en charge, elle doit patienter encore deux ans. Et réussir un examen de passage… Intimidant. »

Le Familistère aujourd’hui

« En 1968, l’association coopérative du capital et du travail est dissoute, le familistère est définitivement séparé des usines. Celles-ci sont reprises en 1970 par le groupe Le Creuset. De son côté, les différentes parties du familistère connaissent un destin divers : les écoles sont municipalisées, les appartements du Palais social et des pavillons Landrecies et Cambrai sont vendus à des propriétaires privés et les autres annexes abandonnées. »

« Depuis 1998, le département de l’Aisne mène des travaux pour réhabiliter ce site historique unique dans le cadre du programme Utopia, avec le soutien de la Région, de l’État et l’Union européenne. Un syndicat mixte du familistère est créé en 2000 pour mener ces rénovations, qui mènent notamment à la création d’un musée et d’une buvette dans le pavillon central. En 2023, seuls quinze appartements sont toujours habités dans le pavillon central. Le théâtre a rouvert et accueille des spectacles et des séminaires d’entreprises. »

L’histoire du dimanche – Le familistère de Guise, véritable ville utopique destinée au bien-être des ouvriers par Valentin Pasquier, France 3 Hauts-de-France, 29/01/2023.

Pour en savoir plus sur le projet de rénovation du Familistère, vous pouvez consulter le communiqué de presse de CDC habitat du 03/10/2023 : Le Familistère de Guise : CDC Habitat lancera la rénovation des 77 logements en 2024.

Pour aller plus loin…

Nous vous recommandons de consulter les ouvrages suivants au service Patrimoine du réseau des bibliothèques de Lille :

Jean-Baptiste André Godin et le familistère de Guise : éthique et pratique de Christian Lions-Patacchini, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2012.
Résumé : L’actualité de Jean-Baptiste André Godin est une évidence. Créateur du Familistère d’inspiration Fouriériste, mais en même temps immense industriel et capitaliste cohérent, son expérience représenterait un exemple à méditer dans une voie étroite entre un capitalisme de production et un socialisme de répartition. Godin veut promouvoir l’éducation et l’hygiène ouvrière, mais en gardant comme cadre d’action la liberté de production. Il réussit remarquablement dans la fonte et le travail du fer. Il a alors les moyens de son ambition : réaliser le familistère de Guise. Projet grandiose. Son nom de Versailles des ouvriers est à peine imagé. Le présent voit la résurrection du Palais social aujourd’hui labellisé musée de France. Quelle est son actualité sociale, organisationnelle, architecturale ? Cet homme étonnant est-il un visionnaire ou est-il totalitaire dans sa vocation d’une égalité formelle et réelle entre tous les individus ? Christian Lions-Patacchini est engagé dans la vie professionnelle, plus précisément dans la Maîtrise d’œuvre et il s’est intéressé, presque naturellement, à l’inventeur du Palais Social de Guise.

Vivre en utopie : Godin et le familistère de Guise, édité par PEMF Mouans-Sartoux, 2018.

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