Comment sont documentées les réactions des populations locales au rallye Dakar ?
Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 08/12/2022.
Créée en 1978, la course du Paris-Dakar, maintenant appelée rallye Dakar, a d’abord parcouru le continent africain avant d’arpenter, à partir de 2009, l’Amérique du Sud puis l’Arabie Saoudite depuis 2020.
Cette course suscite au fil des années bien des débats. « Rituellement, deux camps s’opposent. Les aficionados célèbrent une aventure humaine exceptionnelle, les échanges culturels et les actions humanitaires auxquelles elle donne lieu. Les détracteurs dénoncent le mépris des populations locales manifesté par la caravane, la multiplication des accidents mortels et les dommages causés à l’environnement. » (Source : Le coût du sport-business par Luc Olinga, revue Jeune Afrique, le 25/01/2006).
Mais si l’on entend beaucoup la voix de l’Occident, qu’en pensent les populations locales ? Leurs réactions au passage de la course du Dakar ont-elles été documentées ? Et si tel est le cas, comment l’ont-elles été aux différentes époques de l’histoire du rallye ?
Les réactions des populations locales africaines dans les médias français
La mise hors-champ des populations locales
La présentation médiatique de la course est centrée sur la célébration du sport et des “aventuriers” sportifs occidentaux, dans une logique de sensationnalisme.
De courtes vidéos de reportages journalistiques sur le Dakar sont disponibles sur Dailymotion, mais aucune n’évoque à proprement les réactions des populations locales ; ne sont évoqués que des vols par des “brigands”.
De même, on retrouve sur le site de l’INA un certain nombre d’archives vidéo de la course. Dans celle du bilan de Stade 2 en 1994, Bilan Paris-Dakar-Paris, les populations locales brillent par leur absence, même aux abords des pistes.
C’est encore le cas dans “Les belles images du Dakar” en 2012 en Amérique du Sud, disponible sur le site de l’INA. Alors que plusieurs articles insistent sur des manifestations d’opposition à cette course (voir ci-après), on ne trouve pas un mot sur la réaction des populations dans ce type de reportage. Il est même dit à la fin que la course trouve en Amérique du Sud “un second souffle”.
Une réaction des populations locales est évoquée dans un article de presse grand tirage. Mais elle sert à minimiser la mort d’un enfant pendant la course, comme s’il fallait faire taire d’éventuels détracteurs et s’assurer que rien ne gâche la vision positive de cet événement :
Enquête : Boubacar perdu dans l’euphorie du Dakar par Marie-Laure Colson, Libération, n°7697, le 06/02/2006.
« Le public délire de joie et tente de se forcer un passage jusqu’aux participants.» […] Selon les premiers témoignages, il semblerait que la mère, qui était venue voir le défilé avec Boubacar et ses deux petites filles, a, comme le reste de l’assistance, traversé la route à plusieurs reprises pour pouvoir suivre des yeux les concurrents qui montaient cette côte en S. […] Il [le père de l’enfant décédé] dit que si le Dakar repasse en 2007, il ira de nouveau le voir en famille. « Surtout, qu’il revienne ! » répète-t-il avec un large sourire. Les anciens approuvent de la tête.» [Nous soulignons.]
Une communication médias aux mains de la direction de la course ?
« ASO et le rallye possèdent toutes sortes de médias. Ils ont à leur service 500 journalistes, représentant 300 médias. ». Le groupe Amaury est en effet détenteur, entre autres, de L’Equipe et du Parisien. Peu de chance qu’une victime du rallye fasse la une d’un de ces grands quotidiens. » ( Source : Le Dakar, rallye barbare – Bondy Blog )
France Télévisions et Eurosport continuent de proposer des rendez-vous quotidiens pour couvrir l’événement. Le service public est lié à Amaury Sport Organisation jusqu’en 2025.
La réaction de populations locales au travers de témoignages
Des témoignages de réactions très positives par les compétiteurs
Un documentaire vidéo de janvier 2016, Il était une fois Thierry Sabine, réalisé par France tv sport, à partir d’images d’archives, fait état de réactions très positives. (Disponible sur YouTube.)
Cyril Neveu (pilote de moto, victorieux à plusieurs reprises) y indique que « l’image du Paris-Dakar en Afrique était excellente […] les Africains adoraient cette course et bon nombre de personnes, les villageois, étaient là à nous attendre ». [Nous soulignons.] Les Africains qu’on voit dans ce documentaire sont souriants, apparemment ravis de cette présence.
Yann Arthus-Bertrand : « Le Paris-Dakar était une manne pour l’Afrique » par Medhi Ba, revue Jeune Afrique, 26/12/2012.
Le photographe Yann Arthus-Bertrand a suivi le Paris-Dakar pendant 10 ans et parle de « contacts avec les villageois ». Il affirme : « À la grande époque, quand ils voyaient deux mille personnes débarquer, chacun s’y retrouvait économiquement. Aujourd’hui, ils en parlent avec nostalgie. » [Nous soulignons.]
Des témoignages remis en question a posteriori
Paris-Dakar : arrêtez le massacre colonial !, lettre ouverte de Bertrand Dubanchet, ancien team manager sur le rallye Dakar, pour partager son expérience de la course :
Extrait :
« Lorsque l’on l’on tue un Africain, on ne s’arrête même pas !!! Le chrono tourne, et… on a peur de se faire lyncher par la population…[…] Je ne parle pas des conseils que Thierry Sabine donnait aux concurrents lors du premier briefing, concernant les mises en garde contre les populations des pays traversés… »
Le rallye Paris-Dakar : rôle positif de la colonisation ou domination néo-coloniale ?, article de blog de Thierry Téné Mangoua, Président de A2D (Action Afrique Développement Durable) :
« Le Paris-Dakar a-t-il un rôle positif comme certains l’affirment pour la colonisation?
Oui répondront sans hésiter les organisateurs, sponsors, participants et fans de cet événement. Ils mettront en avant comme c’est déjà bien connu pour abuser de l’accueil et de l’hospitalité des africains, le rôle humanitaire et culturel de l’évènement. Pour la culture, ils mettront en exergue une foule souriante et heureuse, comme seuls les africains savent le faire, lors du passage du rallye. L’échange culturel tant vanté se limitant parfois à une discussion en présence des caméras avec quelques villageois tout souriants et qui vanteront l’intérêt de l’évènement pour leur tribu ou la famille. » [Nous soulignons]
Une parole recueillie à de rares occasions
– Dans la presse, tant française qu’africaine, cette parole semble donnée a posteriori, et surtout aux artisans qui profitaient directement du rallye :
- Enquête: Comment Lac Rose revit sans le rallye Paris Dakar, par Sénégal 7, site senegal7.com, le 19/09/2017.
Extrait :
« Le départ du rallye Paris-Dakar a été un coup de massue pour les artisans », explique cet ébéniste, Mor Fall qui gagne sa vie dans le village artisanal au bord des rives du Lac. » - Du même ordre, cette brève interview d’artisans du Lac rose, point d’arrivée du rallye : Dakar 2009. Le Sénégal pleure son rallye, par la rédaction de la Dépêche du midi, site ladepeche.fr, 12/01/2009 :
Extrait :
« Depuis que le rallye Dakar ne vient plus au Sénégal, c’est un coup dur pour nous » car cela nous rapportait beaucoup d’argent », déplore le président des artisans du village artisanal, Assane Kane. […] Nostalgique de « l’ambiance » du Dakar, Aliou Oumar Ndiaye, « maître d’hôtel » au campement « Chez Salim », installait pour ses clients finlandais, suédois et français, « des tentes mauritaniennes » sur les plages. « Financièrement, on s’en sortait bien ! », se souvient M. Ndiaye. »
Par contre, un documentaire, 7915 KM – Sur les traces du rallye vers Dakar, de Nikolaus Geyralter, sorti en 2008, « suit à distance les traces du rallye Paris-Dakar 2007, au Maroc, au Sahara occidental, en Mauritanie, au Mali et enfin, au Sénégal en interrogeant les habitants locaux sur leur vie, leurs défis et leur vision de cette course ». C’est l’œuvre d’un “réalisateur et photographe autrichien engagé, qui traite l’actualité de manière décalée et très personnelle” comme le précise le site Film-doc.
La documentation s’étoffe avec la montée en puissance de la contestation
Il semble que le rallye Dakar ait suscité plus de réactions négatives en Amérique du Sud. Ou du moins, ces réactions des populations locales ont été davantage relayées par les médias locaux.
Emergence d’échos discordants avec la voix officielle
Article d’archive de la revue Jeune Afrique : Qui menaçait le Paris-Dakar ?, par Chérif Ouazani, 16/01/2004.
Extrait :
« Gage de stabilité et de maîtrise dans la gestion des affaires sécuritaires, le passage du Paris-Dakar était devenu un enjeu pour les dirigeants africains […]. La société civile ne montrait pas le même enthousiasme. La multiplication des accidents et le nombre croissant de victimes renversées par des engins roulant à tombeau ouvert a soulevé bien des protestations et des demandes d’indemnisation – qui ont rarement abouti. » [Nous soulignons.]
Rallye Dakar : un outrage au patrimoine archéologique et aux peuples indigènes , par la rédaction du site révolution permanente, le 08/01/2016.
Extrait :
« Déjà, lors de la version 2013, des membres des peuples Kolla et Omaguaca, qui protestaient pour ne pas avoir été consultés à propos du passage du Dakar sur leurs territoires, ont subi la répression du gouvernement provincial de Jujuy. […]
A l’occasion de la version 2015, elles ont de nouveau manifesté pour ne pas avoir été consultées sur le trajet du rallye qui traversait leurs territoires. Selon l’article 75, sous alinéa 17 de la Constitution Nationale, la Convention 169 de l’OIT et la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes, il est nécessaire de respecter un « droit à la consultation préalable » dont bénéficient les peuples indigènes. »
Des médias sud américains qui informent sans fard sur des oppositions populaires au “Rallye Dakar”
On trouve, en menant une recherche avancée sur un moteur de recherche (par langue et par date), divers articles sur l’opposition au Dakar dans la presse locale ou sur des sites en ligne locaux. Le rallye semble instrumentalisé par les populations comme moyen de pression pour faire aboutir d’autres revendications, comme la réforme du Code pénal en Bolivie en 2017, ou le retour à La Paz du siège des indigènes Aymara en 2014 (voir par exemple Le Dakar, alors qu’il traverse la Bolivie, se heurte à des barrages routiers, site d’eju-tv, TV bolivienne). Cela explique peut-être aussi que les médias s’intéressent à ces réactions.
En Bolivie :
- Archéologues et indigènes dénoncent le Rallye Dakar, archives du site Erbol (Education radiophonique de Bolivie), 15/01/2014 (traduction de la page par google) :
Extrait :
« En plus du patrimoine ancien, les peuples autochtones qui habitent actuellement la région ont critiqué le fait que l’organisation de la compétition n’a pas consulté l’opinion de leurs communautés sur le parcours de la course. « Nous avons connu une invasion excessive de notre environnement, car non seulement le patrimoine est détruit : les voitures passent aussi là où il y a des plantes médicinales et endémiques », a déclaré León [Ariel León, membre du conseil exécutif de United Native Peoples (POU)] ».
- Les artistes protestent contre le Dakar, par le responsable numérique, site opinion-com-bo (site bolivien), 29 avril 2016 (traduction de la page par google). Ils manifestaient « pour plus de soutien dans les politiques culturelles et moins pour le Rallye Dakar 2017. »
- Le gouvernement rejette et demande d’éviter les manifestations contre le Dakar dans la ville de La Paz, par la rédaction du journal en ligne bolivien indépendant paginasiete-bo, 04/01/2017 (traduction de la page par google) : « Les habitants de la zone sud ont exprimé leur mécontentement face à la mise à disposition d’eau aux concurrents pour laver leurs véhicules. Machicao a déclaré que l’ASO apportera de l’eau d’Argentine. »
Au Chili également : Les archéologues et les indigènes critiquent vivement la possibilité que le Dakar revienne au Chili avec Piñera, par Marco Fajardo, site chilien elmostrador-cl, 26 décembre 2017.
Recension attentive de la parole par des associations de soutien aux victimes
C’est le cas du CAVAD, un Collectif Actions pour les Victimes Anonymes du Dakar qui réunit des associations françaises et africaines. Il s’est constitué le 22 janvier 2006 à Marseille pour obtenir la suppression du Rallye Dakar et la juste réparation pour les victimes anonymes de ce rallye. Sur son site CAVAD – Stop Rallye DAKAR, le collectif traite des manifestations en Amérique du Sud.
- Morts, Dégâts archéologiques et Corruption: Le brillant bilan du RallyeDakar en Amérique du Sud, 5 janvier 2020 : « Controverses et polémiques en Bolivie et au Pérou. […] Les manifestants ont également demandé des hôpitaux au lieu du rallye Dakar dans leur pays, faisant irruption sur la scène principale de la Foire des rallyes de La Paz, où ils ont affronté la police locale. »
- Des manifestations sont également recensées dans un autre article, sur le Rallye 2018 en Bolivie : Rallyedakar 2018 : violents heurts entre manifestants et policiers à La Paz, en Bolivie, 11/01/2018.
Extrait :
« Des centaines de personnes, avec des slogans et des banderoles hostiles, se sont opposées à la police qui a utilisé des bombes au poivre et lacrymogènes pour les disperser. […] D’autres rassemblements massifs se sont également produites dans les sept autres départements et différentes organisations sont descendues dans les rues pour protester. »