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Comment l’utilisation du téléphone portable participe-t-elle à la socialisation des adolescents ?


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    Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 03/05/2024.

    Émoticônes s'échappant d'un téléphone portable en Gros plan
    ©Antstang via DepositPhotos

    L’impact des écrans sur le développement des enfants et des adolescents pose de plus en plus question. Le 18 avril 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a fait part de sa volonté de fixer une majorité numérique à 15 ans, d’agir contre l’addiction aux écrans et le repli sur soi. Quelques jours après cette annonce, la commission d’experts chargée par Emmanuel Macron de rédiger un rapport sur l’usage des écrans chez les jeunes a rendu ses conclusions. Elle préconise notamment pas de téléphone portable avant 11 ans et pas d’accès aux réseaux sociaux avant 15 ans (source : Pas d’écran avant trois ans, Site officiel du Gouvernement, 02/05/2024). Les bibliothécaires Eurêkoi vous proposent de découvrir en quoi le téléphone portable est devenu un acteur incontournable de la socialisation des adolescents.

    Qu’est-ce que la socialisation ?

    À ne pas confondre avec la sociabilisation, la notion de « socialisation » est définie de la manière suivante par le sociologue Philippe Riutort :

    « La socialisation peut se définir comme le processus par lequel les individus intériorisent les normes et les valeurs de la société dans laquelle ils évoluent. La socialisation procède donc d’un apprentissage : l’individu, de par les multiples interactions qui le relient aux autres, apprend progressivement à adopter un comportement conforme aux attentes d’autrui. Deux phases importantes sont généralement distinguées dans le processus de socialisation : la socialisation primaire qui commence dès la naissance et se prolonge durant l’enfance, et la socialisation secondaire qui se déroule ensuite, tout au long du parcours social de l’individu. »

    La socialisation : apprendre à vivre en société de Philippe Riutort, Premières leçons de sociologie, Presses Universitaires de France, « Major », 2013, p. 63-74.

    L’adolescence est une période déterminante dans le processus de socialisation des individus. La sociologue Claire Balleys explique :

    « Si les adolescents cherchent à se distancer et à se distinguer des références familiales en vue d’une émancipation individuelle, ils cherchent parallèlement à se conformer aux normes de leur nouveau groupe d’appartenance identitaire : les jeunes. »

    Comment les adolescents construisent leur identité avec Youtube et les médias sociaux, par Claire Balleys, Nectart, 2018/1 (N° 6), p. 124-133

    Le téléphone portable : nouvel acteur de la socialisation des adolescents

    Un outil privilégié de communication

    Aujourd’hui, le téléphone portable fait partie intégrante de la vie des jeunes. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) parue en 2022, « la téléphonie mobile est omniprésente parmi les 15-29 ans (99 % ont un mobile et 94 % un smartphone), tranche d’âge la mieux équipée en smartphone ». Chez les adolescents, le téléphone portable sert avant tout à se connecter aux autres et notamment à ses pairs.

    « Les usages les plus fréquents pour les adolescents sont l’envoi de SMS (93,5 %), l’écoute de la musique (92 %), la consultation des réseaux socionumériques (89 %), les jeux (76 %), l’envoi de photos ou de vidéos (77 %), une pratique particulièrement féminine (88 % des filles, 69 % des garçons). »

    Les adolescents en éclaireurs dans l’économie numérique par Sophie Jehel, L’adolescence au cœur de l’économie numérique (2022), p. 9-38.

    Les réseaux sociaux, en particulier, offrent l’opportunité d’être relié à ses pairs en permanence. Selon Gilles Brachotte, docteur en sciences de l’information et de la communication, ils agissent comme un « outil complémentaire des canaux de rencontre et de communication classique permettant ainsi une continuité et une complémentarité du lien social » (source : Des écrans plein la vue : les jeunes à l’épreuve de la cyberaddiction dirigé par Alexandre Eyriès et Daniel Moatti, L’Harmattan, 2019).

    Sophie Jehel, professeure en sciences de l’information et de la communication, donne quelques chiffres concernant l’utilisation des réseaux sociaux chez les jeunes.

    « L’inscription sur les RSN constitue une étape de plus en plus précoce dans leur carrière sociale : 56 % des 12-13 ans sont inscrits sur des réseaux socionumériques, et 92 % des 14-17 ans (CRÉDOC-ARCEP, 2019). Entre 2014 et 2021, la panoplie des comptes s’est étoffée : 70 % des 15-17 ans sont inscrits sur 4, 5 ou 6 RSN (Observatoire CEMÉA, région Normandie, 2021). En 2021, 89 % avaient un compte sur Snapchat (2 points de plus qu’en 2019), 88 % sur Instagram (10 points de plus qu’en 2019), 36 % sur Facebook (-24 points), 40 % sur Twitter (+10 points), 70 % sur TikTok (+51 points). Des différences importantes apparaissent selon le genre et le contexte scolaire et social. Les filles sont plus présentes sur Snapchat (92 %) et Instagram (94 %). Les jeunes des filières professionnelles, issus des classes populaires, utilisent largement Facebook (62 %) alors que les jeunes des filières générales et technologiques, socialement plus mixtes, s’en sont massivement retirés (26,5 %). »

    Les adolescents en éclaireurs dans l’économie numérique par Sophie Jehel, L’adolescence au cœur de l’économie numérique (2022), p. 9-38.

    Un outil de construction identitaire

    L’utilisation du téléphone portable procure aux adolescents un sentiment d’autonomie qui leur permet de se détacher des valeurs et des goûts acquis au sein de la sphère familiale. Cette autonomisation s’inscrit dans la quête identitaire caractéristique chez les jeunes.

    « Il nous semble qu’à l’âge où les jeunes adolescents s’émancipent peu à peu de l’influence familiale, de l’univers de goûts et de pratiques culturelles parentales (de Singly, 2006) et se construisent une identité propre, les réseaux sociaux sont tout à la fois un instrument et un marqueur de la construction identitaire (Fluckiger, 2008 ; Pasquier, 2005). »

    Blogs et réseaux sociaux, outils de la construction identitaire adolescente ? par Cédric Fluckiger, Diversité 162, 2010, pp. 38-43.

    Par l’intermédiaire du téléphone portable, les adolescents accèdent à un espace virtuel qu’ils sont libres de s’approprier. Cet espace devient alors un terrain d’expérimentation et le lieu d’émergence d’une « culture jeune ». En interagissant avec leurs pairs, les adolescents intègrent les normes et les valeurs propres à leur groupe d’appartenance et s’identifient en tant que jeune.

    « Les réseaux numériques ont été massivement investis par les communautés adolescentes, qui ont su y inventer des codes spécifiques, une culture « numérique » à part entière. Et puis sur le « Net adolescent », ils procèdent à des expérimentations identitaires, relationnelles, sexuelles, en changeant allègrement de pseudos et de profils, mais aussi d’âge, de sexe, de condition, pour le meilleur, pour le rire et pour le pire, aussi. »

    Génération 3.0 : enfants et ados à l’ère des cultures numérisées de Pascal Lardellier, Éditions EMS, 2016.

    Pour Pascal Lardellier, professeur en sciences de l’information et de la communication, les technologies numériques rejouent des rites de passage qui permettent aux adolescents de se constituer en tant qu’individu et de se positionner dans la société.

    « L’hypothèse est celle-ci : si les nouvelles technologies rencontrent autant de succès auprès des jeunes, c’est peut-être parce qu’elles endossent les fonctions qu’ont toujours joué les rites auprès de la jeunesse : assurer les passages et les changements de statuts, autoriser des changements d’identités transitoires, renforcer les liens communautaires et aider à l’intégration dans les « tribus », permettre des parenthèses parodiques servant de soupapes. »

    Génération 3.0 : enfants et ados à l’ère des cultures numérisées de Pascal Lardellier, Éditions EMS, 2016.

    Les préoccupations liées à la socialisation par le téléphone portable

    Cyberharcèlement

    Le phénomène de harcèlement n’est pas nouveau. L’avènement des outils numériques mobiles a contribué à l’émergence du cyberharcèlement. La violence entre pairs ne se limite plus à l’école, elle se poursuit en ligne et peut causer des dommages durables chez la victime.

    Nous vous conseillons la lecture de l’article Le cyberharcèlement chez les jeunes (Enfance 2018/3, n°3, p. 421-439) par Catherine Blaya, dont voici un extrait :

    « Si le terme cyberharcèlement n’existait pas il y a une trentaine d’années, il fait maintenant partie du vocabulaire largement utilisé pour faire référence à la violence entre jeunes ou à celle à laquelle ils sont potentiellement soumis lorsqu’ils surfent sur Internet. Les outils électroniques de communication et Internet ouvrent des perspectives et démultiplient les opportunités de communication et d’accès à l’information (Livingstone et al., 2011). Ils présentent aussi des risques susceptibles de se transformer en expériences négatives, voire en victimisation que ce soit sous forme de harcèlement, d’exploitation sexuelle, ou de violences ponctuelles (UNICEF, 2016). Les jeunes sont particulièrement concernés car ce sont les plus connectés (97 % aux USA, 90 % en France, etc.) et leur consommation intensive des réseaux sociaux et des SMS bouscule les représentations et les modes « classiques » de socialisation (Boyd, 2014). Si la plupart du temps, ils s’adonnent à des activités inoffensives, les prises de risque et les cas de victimisation ne sont pas rares pour autant. »

    Vous pouvez également consulter les recommandations du gouvernement en cas de cyberharcèlement : Qu’est-ce que le harcèlement ? (mis à jour en janvier 2024).

    Risque d’exclusion sociale

    Chez les adolescents, la présence sur les réseaux numériques est devenue indispensable. Celui qui n’a pas de téléphone ni d’accès aux réseaux sociaux peut se retrouver mis à l’écart du groupe, car aujourd’hui la socialisation des adolescents se joue en grande partie en ligne.

    « Des collégiens expliquent que si l’on n’est pas sur ces réseaux, on est complétement « ostracisé », rejeté socialement – car techniquement – à l’extérieur des groupes électifs. En fait, c’est important de maintenir le contact avec les copains, et le contact est maintenu grâce à ce que chacun exprime en ligne. »

    Génération 3.0 : enfants et ados à l’ère des cultures numérisées de Pascal Lardellier, Éditions EMS, 2016.

    Face à l’injonction d’être présent sur les réseaux sociaux, les parents consentent à équiper leurs enfants de smartphone de plus en plus tôt.

    « Les parents subissent la pression de leurs ados pour qui l’intégration au groupe des pairs comporte des passages obligés : équipement de plus en plus précoce en smartphone, accès aux jeux vidéo plébiscités et aux réseaux sociaux numériques. Les parents hésitent à les interdire de peur de marginaliser leur ado du groupe de pairs. Au final, les parents adoptent des stratégies de régulation à partir de leurs objectifs éducatifs, des contraintes auxquelles ils font face, de leurs représentations des pratiques numériques juvéniles et de leur proximité avec la culture numérique. »

    Écrans et ados : ce que les parents doivent savoir par Barbara Fontar, Agnès Grimault-Leprince et Mickaël Le Mentec pour The Conversation France, Le Point, 19/02/2022.

    Risque pour la santé

    Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les liens qui existent entre la dégradation généralisée de la santé mentale des adolescents et la socialisation par les téléphones portables.

    « À partir de 2012, année où la pénétration des smartphones dans la société américaine dépassa les 50%, des changements radicaux se produisirent dans le comportement et l’état émotionnel des adolescents. Les statistiques dépeignent une génération marquée par la solitude et une sévère réduction de l’interaction sociale. […] Pour exister, il faut y soumettre sa vie au regard des autres, et ce aux différents stades de la vie. Les adolescents affrontent ce jeu social très compétitif de façon particulièrement désarmé. Cette comparaison permanente est probablement un des facteurs qui expliquent la hausse fulgurante des taux de dépression, d’anxiété, d’automutilation et de suicide parmi les personnes nées après 1995, dont la sociabilité a été secondée par les réseaux sociaux dès le collège. Le sentiment d’être laissé pour compte a augmenté de 48% entre 2010 et 2015 parmi les jeunes adolescentes américaines.»

    Anesthésiés : l’humanité sous l’emprise de la technologie de Diego Hidalgo Demeusois, Éd. fyp, 2021.

    Nous vous recommandons le visionnage de l’émission Les réseaux sociaux nuisent-ils à la santé de nos ados ? de Renaud Dély, 28 Minutes, ARTE, 2023.

    Exposition à des contenus violents ou pornographiques

    La présence des adolescents sur Internet les amène parfois à tomber sur des contenus choquants ou inappropriés pour leur âge. Cela n’est pas sans conséquence sur leur construction psychique et émotionnelle.

    « Plusieurs recherches internationales ont cherché à mesurer l’impact des images violentes et des images pornographiques sur les mineurs. Elles mettent notamment en évidence une corrélation avec la diminution de la sensibilité à la souffrance des autres, l’anxiété, l’accroissement de l’agressivité relationnelle. Des recherches récentes sur l’impact de la pornographie sur les jeunes attestent notamment d’une transformation des comportements corporels et sexuels, d’une plus grande objectivation du corps de l’autre et d’une plus grande insatisfaction dans les relations sexuelles pour une part d’entre eux. »

    Les adolescents face aux images violentes de Sophie Jehel et Patricia Attigui, Mission de Recherche Droit et Justice, 2018.

    Pour aller plus loin…

    Quelques ressources

    Jeunesses connectées : les digital natives au prisme des inégalités socio-culturelles de Julien Boyadjian, Presses universitaires du Septentrion, 2022.
    Résumé :
    À partir d’une enquête utilisant plusieurs méthodes, l’auteur présente les inégalités socio-culturelles que connaissent les jeunes nés au tournant des années 2000, génération native du numérique. Il montre qu’en matière d’information, de participation politique ou de culture, les jeunes développent des usages socialement différenciés du numérique. ©Electre 2022

    La numérisation de la vie des jeunes : regards pluridisciplinaires sur les usages juvéniles des médias sociaux de Franck Martin, Claire Safont-Mottay et Nicole Boubée, l’Harmattan, 2019.
    Résumé :
    Une synthèse des données et des enjeux sur les usages des outils numériques par les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Les auteurs s’intéressent notamment à l’utilisation des réseaux sociaux, à leur influence et à leur rôle de socialisation et d’information à travers une approche qui mobilise la psychologie, les sciences de l’éducation et de la communication ainsi que la sociologie. ©Electre 2019

    L’identité numérique adolescente face au cyber-sexisme, outil du maintien d’un ordre sexué co-construit de Youness Rsaissi et Sigolène Couchot-Schiex, Éd. GEF, 2022.
    Résumé :
    Dans cet article, nous mettons en évidence le processus de co-construction du cyber-sexisme, comme instrument du maintien de l’ordre sexué, entre adolescent·e·s. Notre analyse utilisera les outils des études féministes pour mieux appréhender comment cette construction sociale du genre et de l’ordre sexué deviennent prédominantes au regard de l’apparente neutralité du cyberespace.

    Accompagner les ados dans leurs pratiques numériques

    Le site PAUSE propose ressources et outils pour une meilleure utilisation des technologies numériques.
    Le site Cybermalveillance.gouv.fr donne des conseils de sécurité numérique sur des supports variés et ludiques.

    L’article Ados et Internet : cinq conseils pour mieux gérer (pôle Édition de France Inter, Radio France, 28/04/2022) fournit des pistes de réflexions aux parents sur comment la façon de protéger leurs adolescents des réseaux sociaux et d’Internet sans être intrusifs.

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